« Hiver à Sokcho » : une rencontre placée sous le signe de l’émotion et de la grâce

Avec Hiver à Sokcho, Koya Kamura met subtilement en scène les désirs et tourments d’une jeune femme, métisse franco-coréenne, en mal de père et à la recherche de ses origines. Une réflexion pleine de délicatesse sur la confusion des sentiments et la construction de l’identité.

Hiver a Sokcho photo

Adapté du roman d’Elisa Shua Dusapin dont il reprend le titre, Hiver à Sokcho suit, sur quelques semaines, l’histoire de Soo-Ha, une jeune fille en mal de père car n’ayant jamais connu le sien, un Français de passage en Corée. Ce manque va se trouver ravivé par sa rencontre avec Yan Kerrand, un dessinateur de BD à succès, venu de Normandie chercher l’inspiration à Sokcho, en cette saison où la petite cité portuaire du Nord de la Corée du Sud est engourdie sous la neige et figée par le froid. Réalisé par le cinéaste franco-japonais Koya Kamura, Hiver à Sokcho est le récit de la relation tout en pudeur qui se noue peu à peu entre Soo-Ha et Yan, assorti d’une interrogation subtile sur l’identité et la construction de soi.

Hiver a Sokcho afficheLe métissage entre deux cultures et le questionnement identitaire qu’il suscite, Elisa Shua Dusapin, avec ses doubles racines françaises et coréennes, le connaît bien, de même que Bella Kim, l’interprète de Soo-Ha, et que Koya Kamura, lui-même partagé entre la France et le Japon. La différence de Soo-Ha se lit dans le regard des autres – on l’appelle « la grande » ou « Miss France » et c »est sa connaissance du français, étudié à l’université, qui créera immédiatement un lien entre elle et Yan Kerrand, lorsque celui-ci débarquera dans la modeste pension de monsieur Park où elle travaille. Solitaire, taciturne, Kerrand semble soucieux de garder ses distances.

Leur histoire sera celle d’un apprivoisement mutuel, fait de quelques confidences et de beaucoup de silences, riche aussi en ambiguïtés. Des balades dans les rues de Sokcho enneigée, une excursion dans la fameuse zone démilitarisée de la frontière nord-coréenne toute proche, autant de moments partagés qui pourraient relever du tourisme. Mais on lit dans le regard de Soo-Ha que pour elle il s’agit de bien plus – et dans celui de Yan qu’il l’a bien compris. C’est dans la quête d’une partie d’elle-même que s’est lancée la jeune fille, prisonnière malgré l’affection de sa mère d’un sentiment d’abandon, observant, épiant parfois son insu cet homme qui la ramène aux racines de son identité.

À quoi tiennent la beauté, la grâce d’Hiver à Sokcho ?

À la simplicité d’une histoire où, du moins en apparence, il ne se passe pas grand-chose, mise en scène d’un lien fragile, indéfinissable, qui repose sur des non-dits, des transferts et des frustrations, sur l’ambiguïté des sentiments de Soo-Ha qui fait de Yan Kerrand à la fois un père fantasmé et un objet de désir.
À la poésie qui émane de ces séquences d’animation en noir et blanc réalisées par Agnès Patron, des respirations qui permettent une mise à distance en même temps qu’une plongée dans la psyché de Soo-Ha, par le biais de représentations sensuelles et tourmentées de ses états d’âme secrets.
Au charme des images qui restituent l’atmosphère enveloppante de Sokcho, ses paysages semblables à des tableaux en gris, bleu et blanc, le marché aux poissons où travaille la mère de la jeune fille.
À la sensualité qui se dégage des scènes d’intérieur, de la préparation des repas – exaltée par la dangerosité du fugu – du rapport très particulier qu’entretient Yan Kerrand avec l’encre et le papier, lui qui refuse de goûter la cuisine de Soo-Ha.
À la sympathie que nous éprouvons pour cette jeune fille vulnérable, cachée derrière ses lunettes rondes, perdue entre deux cultures, deux langues, deux hommes.
À la qualité de ses interprètes : Roshdy Zem, tout en sobriété et en intériorité, et Bella Kim, dont c’est le premier rôle, qui met son émouvante douceur au service des tourments de Soo-Ha. Et à la surprenante musicalité de la langue coréenne…

Récit initiatique tout en délicatesse, Hiver à Sokcho n’hésite pas à déjouer nos attentes et choisit de prendre son temps pour nous imprégner de la subtilité des émotions et de la confusion des sentiments qui traversent Soo-Ha. Aux nombreuses interrogations qu’il soulève, il n’offre aucune résolution facile. Son rythme lent et contemplatif, sans doute, en découragera certains. Il excelle pourtant à rendre compte de la démarche introspective de Soo-Ha et ce jusqu’au seuil du printemps, jusqu’à ce beau dénouement en deux volets qui, s’il peut en un premier temps nous paraître frustrant, s’avère riche de signification.

Anne Randon

Hiver à Sokcho
Film de Koya Kamura
Genre : Drame
Avec Avec Roschdy Zem, Bella Kim, Park Mi-hyeon
Durée : 1h45min
Date de sortie en salle : 8 janvier 2025

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