« Étincelles rebelles », de Macodou Attolodé : un polar au coeur du conflit en Casamance

Si on connaît bien l’Afrique du Sud comme terre de polars grâce à Deon Meyer ou Mike Nicol, les polars écrits par des auteurs originaires d’Afrique subsaharienne, et s’y déroulant, sont nettement moins nombreux à parvenir jusqu’aux lecteurs français. Étincelles rebelles est le premier roman de Macodou Attolodé, auteur sénégalais, né à Dakar, installé en France après l’obtention de son baccalauréat. Et Gallimard a vu juste en l’intégrant à sa célèbre collection Série Noire.

Macodou Attolode
© DR / Gallimard

Lorsqu’on fait la connaissance de Latyr Faye, jeune inspecteur à la DEC (Division des enquêtes criminelles) de Dakar, il vient d’arrêter un baron de la cocaïne après deux années d’infiltration. Mais ce dernier est rapidement libéré car protégé en haut lieu. Consternation, incompréhension, colère … d’autant que sa hiérarchie lui propose un bel avancement pour faire passer la pilule, qu’il refuse catégoriquement. Déclassé pour insubordination, il est muté en Casamance, au Sud-Ouest du pays, à des centaines kilomètres de la capitale, à la frontière avec la Gambie et la Guinée-Bissau.

Etincelles-rebellesMacodou Attodolé sait où il envoie son héros pour tester son idéalisme. La Casamance connaît un conflit larvé d’une grande complexité depuis le début des années 1980.  Malgré un cessez-le-feu en 2005, les affrontements entre Jambaars (soldats de l’armée régulière sénégalaise) et rebelles séparatistes du MFDC terrorisent les civils. L’auteur a imaginé une troisième force armée, les Chasseurs du Nord, miliciens se présentant comme les protecteurs de la population.

Les amateurs le savent, le polar, c’est le genre idéal pour parler du monde actuel et le rendre lisible, pour prendre le pouls d’un territoire, surtout quand, comme l’Afrique subsaharienne, il est peu représenté dans les romans qui parviennent jusqu’à nous. Surtout quand il ne joue pas la carte d’un exotisme de pacotille que pourraient attendre certains lecteurs occidentaux. Ici, l’écriture, sobre, privilégie l’efficacité. Ce qui ne donne que plus de force aux quelques scènes de bravoure qui convoque le folklore tribal animiste avec des apparitions quasi surnaturelles d’abeilles et

A mesure que l’intrigue avance et qu’on découvre l’écheveau casamançais, le rythme s’accélère sur un tempo maitrisé qui mêlent alliances inattendues, trahison, masques qui tombent sur fond de corruption endémique de l’Etat et de ses officiers, narcotrafic faisant transiter la cocaïne colombienne à destination de l’Europe, et exploitation minière du zircon quitte à polluer toute un territoire et à précipiter l’avancée de la mer et des eaux salées dans les rizières.

La droiture de Latyr lui confère sans doute un certain monolithisme, le personnage manque quelque peu de gris. Il n’empêche que ce chaos casamançais le confronte à de vrais dilemmes, forcément difficiles à trancher pour un flic intègre. Quand l’Etat est en faillite, incapable de garantir la sécurité de ses habitant ou d’assurer une justice équitable ou d’offrir des conditions de vie dignes aux plus précaires, comment faire triompher la loi, si ce n’est en prenant certaines libertés tout en restant sur son code d’honneur ?

Le portrait que dresse Macodou Attodolé du Sénégal est certes désenchanté par les dérives criminelles décrites, mais il n’oublie pas de célébrer sa richesse culturelle et la volonté de nombreux de ses habitants à être des étincelles rebelles animées par le désir de s’insurger contre l’injustice et de mettre le feu à un brasier capable d’éradiquer toute corruption.

Un premier roman réussi, auteur à suivre assurément !

Marie-Laure Kirzy

Etincelles rebelles
Roman de Macodou Attolodé
Editeur : Gallimard, collection Série noire
368 pages – 19€
Date de parution : 9 janvier 2025

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