The Day of the Jackal est l’une des rares réussites dans le genre devenu très banal du « thriller d’espionnage », grâce à une interprétation remarquable, d’un scénario ambitieux et d’une réalisation régulièrement de haut niveau. Un exemple pour toutes les plateformes.
Le 22 août 1962, au Petit Clamart, le Général De Gaulle échappe de peu à un attentat mené par un groupuscule d’extrême droite, affilié à l’OAS. Neuf ans plus tard, en 1971, l’écrivain britannique Frederick Forsyth publie un roman policier, The Day of the Jackal, où il imagine que, à la suite de l’échec de leur première tentative, les commanditaires de l’attentat engagent un tueur à gages pour liquider le chef d’état français ! Son nom de code est « le chacal ». Le livre sera un énorme succès, et est toujours classé comme l’un des 100 meilleurs polars jamais écrits. Ce qui avait évidemment de quoi séduire les producteurs de cinéma, et on connaît a priori 3 adaptations cinématographiques, la meilleure restant la première, celle de Fred Zinnemann en 1973, avec Edward Fox dans le rôle de l’assassin.
The Day of the Jackal, la série produite par Sky et Peacock en 2024, est en fait une réinterprétation contemporaine du livre de Forsyth : elle témoigne d’un certain respect des péripéties du livre (pourquoi ne pas profiter de ce qui est excellent dans le matériau original ?), mais en les actualisant, et en les adaptant au « monde anglo-saxon ». La cible du Chacal est devenu un milliardaire excentrique et grande gueule, qui pourrait être Elon Musk si ce dernier était d’extrême gauche. Ses commanditaires ne sont plus motivés par des convictions politiques, mais bien par des intérêts financiers, ce qui marque bien le changement d’époque, entre les années 60 et notre triste réalité contemporaine. Et ceux qui cherchent à arrêter le Chacal ne sont plus les services secrets français (qui, il est vrai, collaboraient avec les Anglais dans le livre), mais bel et bien le MI-6. Quant au Chacal lui-même, il reste un Anglais bon teint, interprété cette fois par l’excellent Eddie Redmayne (The Theory of Everything sur Stephen Hawkins, The Danish Girl, et… les Animaux fantastiques, où il était particulièrement mal casté et mal à l’aise).
Redmayne est ici tout à fait remarquable, et il est la meilleure raison de regarder cette série, tant la complexité de son interprétation, qui voit le personnage osciller entre une insensibilité terrifiante, une fausseté répugnante, et une fragilité touchante, est formidable. Car la grande idée de Ronan Bennett et de ses scénaristes, c’est de pousser le téléspectateur à être totalement « du côté » du tueur, et ce en dépit de la sympathie qu’inspire le projet de transparence financière de sa victime potentielle : nous voilà donc priant pour que le Chacal échappe à ses poursuivants, et réussisse dans ses sombres projets, tout en ressentant quand même un peu de honte !
Ce tour de force fonctionne grâce à deux autres excellentes idées : d’abord, positionner le Chacal avant tout comme un technicien hors pair – un tireur d’élite comme il y en a eu très peu -, dont l’expertise et la maîtrise en toute situation est bluffante. C’est le rôle du premier épisode – probablement le meilleur des dix – d’établir la supériorité du personnage, et cela fonctionne impeccablement. Ensuite, il y a le choix, culotté, de rendre d’emblée son adversaire, Bianca (Lashana Lynch), l’agent du MI-6, encore plus moralement infecte que lui : les membres des services secrets britanniques, tels que dépeints ici, ressemblent tout à fait à ceux des livres de John Le Carré, prêts à toutes les vilenies pour atteindre leurs objectifs personnels, sans même parler de leur facilité à se vendre aux plus offrant !
Dans son ensemble, en dépit de facilités scénaristiques qui auraient pu être évitées (en particulier au niveau des rencontres peu explicables entre le Chacal et Zina, qui le « gère » pour ses commanditaires), The Day of the Jackal est globalement convaincant, et s’avère même régulièrement extrêmement excitant. Soulignons aussi l’excellence rare de la BO, utilisant magnifiquement des morceaux Rock de haut niveau (Radiohead, Alt J, Bowie, Massive Attack, etc.). Il n’y a guère que la partie « andalouse » / « amoureuse » de l’histoire qui nous laisse très, très sceptiques, en partie à cause de la mauvaise interprétation de Úrsula Corberó, quasiment constamment à côté de la plaque (nous ne lui ferons pas l’affront de relever que son accent et son vocabulaire andalous sont complètement loupés, mais quand même !) : cette faiblesse est dommageable, car la question du rapport du Chacal avec sa famille devrait être importante, et elle n’est qu’un dérivatif ridicule par rapport à l’intrigue principale.
Vu la conclusion du dernier épisode, mais surtout vu l’énorme succès de la série à travers le monde, la possibilité d’une seconde saison ne saurait être exclue. Est-ce un bien ou un mal ? Disons seulement que, grâce à Eddie Redmayne, nous sommes partants !
Eric Debarnot