C’est à l’intérieur du Panthéon, le temple de la République, que Richard Malka a choisi de passer sa « nuit au musée », aux côtés de Voltaire dont il poursuit le combat . Un réquisitoire contre le fanatisme et l’intolérance qui débouche sur la question : comment remplacer Dieu ?
Quand les éditions Stock ont proposé à Richard Malka de passer une nuit dans un musée de son choix, il n’a pas hésité une seconde : ce serait le Panthéon. Cette nuit, il la passerait en compagnie d’hommes illustres, dans le sanctuaire laïque de la République. Et cette nuit, il se trouverait, lui, l’incroyant notoire dont la grand-mère juive marocaine ne parlait que l’arabe, face au plus irrévérencieux des philosophes des Lumières, le meilleur représentant de l’esprit d’ironie à la française : François-Marie Arouet dit Voltaire, l’auteur du Traité sur la tolérance, le défenseur de Calas et du chevalier de La Barre.
Durant cette nuit au Panthéon, Malka partagera son temps entre le rez-de-chaussée et le premier étage : entre le monde des vivants – les fresques révolutionnaires aux couleurs éclatantes – et celui des morts, ce mausolée où se détachent deux sépultures qui se font face, celle de Voltaire et celle de son souffre-douleur favori, Rousseau. Et s’il installe son lit de camp aux côtés de Voltaire, il sait bien que le Panthéon est bien plus que le lieu où il pourra discuter avec ce « compagnon de route ». Il est en effet tout un symbole, ce « bâtiment conçu pour être une église, qui existe grâce à un juif et qui a fini en temple républicain », devenu le lieu de célébration d’un nouveau culte, celui de la grandeur de l’Homme.
Voltaire considérait la religion comme le pire des tyrans et les pratiquants comme les « misérables esclaves d’une secte insensée ». Richard Malka partage cette opinion, lui qui revendiquait dans son précédent ouvrage un athéisme rieur assorti du « droit d’emmerder Dieu », lui qui n’a jamais cessé d’affirmer sa haine du fanatisme, du prosélytisme et du communautarisme. Son admiration pour le philosophe éclairé ne l’aveugle pourtant pas : il sait ce qui le sépare de lui et condamne la violence de certaines de ses attaques, son antisémitisme, son homophobie, l’appui indirect qu’il apportait à l’esclavagisme par ses investissements dans la Compagnie des Indes.
Comment, en effet, Richard Malka pourrait-il parler de Voltaire sans parler de lui-même ? Parler de cette enfance dans une famille modeste, dans un univers joyeux et bienveillant fait de traditions et de prières, nourrie par une forte ambition d’intégration qui allait permettre à ses identités plurielles de s’épanouir ; et puis de sa rencontre décisive, à Jérusalem, avec le fanatisme religieux. Parler de son parcours d’avocat, de ceux dont il fut l’ami et le disciple, Robert Badinter et Georges Kiejman. Parler de son engagement indéfectible aux côtés de Charlie Hebdo, qu’il défend depuis trente ans. Parler de son histoire, parce qu’elle éclaire son combat.
Qu’est devenu l’héritage des Lumières? Quand a-t-on abandonné le droit de critiquer une religion ? Comment admettre que le 7 janvier 2015, douze blasphémateurs aient pu été tués, deux cent cinquante ans après La Barre ? Autant de questions que viennent raviver ces heures passées en tête-à-tête avec Voltaire. Pourtant, Richard Malka pense, avec Victor Hugo, que « ne pas croire est impossible ». Il faut donc « remplacer Dieu », et tel est le titre du dernier chapitre de ce vibrant réquisitoire – celui qu’il écrivit, cette fameuse nuit, à l’intérieur du Panthéon… Là encore, à qui s’en remettre dans ce monde de plus en plus intolérant, sinon à Voltaire ? « François-Marie, tu dois trouver un substitut nicotinique à la religion ».
Anne Randon