Il manque à Babygirl, dans sa réappropriation actuelle d’une sexualité féminine longtemps stéréotypée, une part d’audace et d’imprévisible. Certes, Halina Reijn s’intéresse davantage aux mécaniques de pouvoir et de plaisir avant de chercher à (nous) aguicher, mais en oublie quelque peu l’extase et l’agonie.
Elle s’appelle Romy, et elle a tout. Présidente d’une entreprise florissante, un mari aimant, deux filles épanouies, le succès, le pouvoir, la richesse. Elle a tout, sauf le plaisir, le vrai. Le sien, intime et inavouable. Celui qu’elle voudrait connaître, qu’elle voudrait assouvir, et se peut-il que sa rencontre avec Samuel, jeune stagiaire à l’attitude trouble et désinvolte au sein de sa société, soit l’occasion enfin d’embrasser ses désirs, réduits depuis trop longtemps à se masturber sur la moquette devant une vidéo porno ? Désirs d’être entièrement dominée, soumise, à la merci d’un autre, comme en danger ? Quelque part entre l’Erika de La pianiste, et la Lee de La secrétaire (éventuellement la Séverine de Belle de jour et l’Elizabeth de 9 semaines ½, mais celle-ci, au final, subissait plus qu’elle ne s’épanouissait), Romy va s’abandonner pour mieux se trouver.
Halina Reijn, après Instinct en 2019 avec Carice van Houten, sorte d’ébauche de Babygirl (une psychologue en milieu carcéral entame une relation avec un détenu, prédateur sexuel, teintée de manipulations et d’interdits), signe un nouveau portrait de femme prête à explorer (et à assumer) ses fantasmes et ses limites. On ne sait jamais vraiment si le film se joue des lieux communs (ceux des sexy thrillers des années 80/90 avec liaison, instinct et/ou fatal(e) dans le titre) ou a été incapable de s’en défaire tant le scénario oscille constamment entre le déjà vu, voire le risible, et le singulier. Entre la farce conjugale, la comédie polissonne et l’introspection de la psyché d’une femme utilisant le sexe, en mode maso, comme la possibilité d’un exutoire à ses insatisfactions et, plus concrètement, pour enfin pouvoir jouir.
Le film d’ailleurs s’ouvre et se termine sur un orgasme (un simulé puis, presque deux heures plus tard, un pas simulé). Dans cet intervalle, Reijn suit le parcours de Romy à travers une perte de contrôle censée la mener à son « salut », à son « devenir chienne », tout en cherchant à préserver, et alors que l’idée de tout perdre semble également la titiller, l’harmonie familiale et entrepreneuriale (si la paix du couple est maintenue à la fin, rien n’est moins établi quand Romy paraît avoir besoin du souvenir de Samuel pour jouir des nouvelles initiatives de son mari). Reijn montre surtout une relation complexe qui n’est jamais sûre d’elle, les deux amants ayant du mal à s’accorder. Deux amants qui, souvent, hésitent, s’opposent, sont gênés, se donnent, s’éprennent, hésitent à nouveau, se disloquent (la longue scène dans la chambre d’hôtel, magnifique, résume parfaitement leur dynamique).
Face à une Nicole Kidman impériale qui donne tout et ne rechigne pas à se contrefoutre de son image, Harris Dickinson assure et se révèle être, in fine, la vraie surprise du film dans le rôle de Samuel (la scène où il chaloupe et ondule sur le Father figure de George Michael devrait supplanter, sur les réseaux sociaux, celle dans Saltburn où Barry Keoghan danse à poil sur Murder on the dancefloor). Mais il manque à Babygirl, dans sa réappropriation actuelle d’une sexualité féminine longtemps stéréotypée, et même invisibilisée, une part d’audace, d’imprévisible, de vénéneux aussi. Certes, Reijn s’intéresse davantage aux mécaniques de pouvoir et de plaisir avant de chercher à (nous) aguicher, mais en oublie quelque peu l’extase et l’agonie.