Dans ce dernier album d’une trilogie consacrée à la dictature chilienne, Désirée et Alain Frappier ont recueilli les témoignages des marins « constitutionalistes » qui tentèrent, entre 1970 et 1973, de s’opposer au coup d’état militaire.
Fils d’un ouvrier communiste, Luis Aguirre s’engage à 15 ans dans la marine dans l’espoir d’une formation de mécanicien qui lui permettra de sortir de la misère. Les premières pages décrivent une enfance pauvre, digne et courageuse. Dès L’école des mousses, il est frappé par la brutalité du traitement que leur réserve les cadres. Le Chili vit alors dans un système quasi féodal, où les familles fortunées s’arrogent les terres et le pouvoir.
Le trait semi-réaliste en noir et blanc d’Alain Frappier alterne des cases quasi photographiques représentant les villes ou les navires, qui encrent le récit dans la réalité chilienne, avec un style très simple sur les personnages et les visages, tous très jeunes et en uniforme, des marins. Il s’attarde sur la dureté, l’arrogance, voire la haine, qui déforment les traits de leurs officiers.
Parfaitement documenté, le scénario de Désirée Frappier s’appuie sur des rencontres et sur les travaux d’historiens. Par nature, les marins voyagent. Invités à visiter des ports ou des navires occidentaux, ils ne peuvent que constater l’archaïsme de la discipline chilienne, qui exalte les héros défunts et veux croire à une guerre contre ses voisins. L’élection de Salvador Allende exaspère les tensions, les « vaches sacrées » préparent leurs soldats à la répression qui ne saurait tarder face à la menace communiste.
Le drame, dont nous connaissons tous l’issue, nous est raconté par leurs yeux et leurs oreilles. Tout finit par se savoir sur un navire. Sidérés, ils surprennent des conversations, des messages et des rumeurs. Un coup d’état ne saurait être l’action d’un homme seul. Appuyés par les USA, la hiérarchie militaire, les industriels et les patrons de presse épurent et manipulent leurs subordonnés…
Quelques dizaines de marins courageux se rassemblent et tentent d’alerter les responsables de l’Unité Populaire, le parti d’Allende. Les plus fougueux envisagent une mutinerie. Dénoncés, ils sont arrêtés, torturés, accusés de complot armé contre l’État, un comble. La presse s’emballe. Le président laisse faire. Un mois plus tard, le 11 septembre 1973, Il est assassiné. Cinquante ans après, ces hommes ont, pour la plupart, émigrés. Ils attendent toujours une véritable réhabilitation.
Stéphane de Boysson