« Chiens des Ozarks », d’Eli Cranor : un polar tragique dans l’Arkansas

Description réaliste et sombre de la vie dans les Ozarks, le roman d’Eli Cranor s’inscrit dans la plus pure tradition du rural noir. Chiens des Ozarks raconte le combat mené par un vétéran du Vietnam pour sauver sa petite fille des griffes d’une odieuse famille de suprémacistes blancs. Âpre, violent et tragique, ce premier roman traduit en français est l’une des belles découvertes de ce début d’année.

© Heath Whorton

Sniper pendant la guerre du Vietnam, Jeremiah Fitzjurls a rangé ses fusils depuis bien longtemps. Installé à Taggard dans l’Arkansas, il élève seul sa petite fille au milieu de la casse automobile où il travaille pour oublier un passé marqué par la violence, le deuil et l’alcool. Devenue une jeune femme qui s’apprête à entrer à l’université, Joanna n’a que ce grand-père pour seule famille : elle n’a jamais connu sa mère et son père est derrière les barreaux… Mais dans ce coin des Ozarks frappé par la misère et les trafics de drogue, les tragédies sont nombreuses et Joanna va bientôt devenir la cible d’une inquiétante famille de suprémacistes blancs. Jeremiah devra alors replonger dans une spirale de violence à laquelle il pensait pourtant avoir échappé.

Dès les premières pages de Chiens des Ozarks, Eli Cranor plante un décor bien connu des amateurs de rural noir : un coin perdu des Etats-Unis, rongé par le chômage, la bêtise et le racisme, des protagonistes marqués au fer blanc par des tragédies familiales. Tous ou presque sont convaincus de ne pouvoir échapper ni à leur destin ni aux liens du sang qui souvent les entravent.

L’action racontée dans Chiens des Ozarks se déroule, pour l’essentiel, au cours d’une longue nuit entrecoupée de souvenirs qui nous permettent de mieux comprendre chaque personnage. On suit donc les protagonistes d’une histoire qui s’apparente pour l’essentiel à une sorte de quête dont l’objet s’incarne dans un autre personnage qu’il faut retrouver. Les terrifiants Ledford veulent s’emparer de Joanna pour la livrer à un odieux trafiquant de drogue. Jeremiah, quant à lui, cherche sa petite-fille, et donc les Ledford avec lesquels il a un vieux compte à régler.

Mais, au-delà de cette course-poursuite assez classique, mais qui donne au roman un rythme nerveux et haletant, on découvre surtout des personnages qui, sans le savoir, courent après eux-mêmes. Au centre du récit, il y a bien sûr Jeremiah, un personnage que l’on a finalement déjà croisé dans beaucoup d’œuvres littéraires ou cinématographiques. Traumatisé par le Vietnam et les horreurs qu’il a vues ou commises, il semble condamné depuis à la violence et au malheur : son fils meurtrier est en prison, sa femme est morte et sa petite-fille, sa seule raison de tenir debout, est aujourd’hui menacée. Personnage en quête d’une impossible rédemption, Jeremiah, à défaut d’être un personnage original, est un anti-héros attachant et son parcours ne peut qu’émouvoir.

Autour de lui, les autres protagonistes ne sont guère plus singuliers. Pour autant, Eli Cranor parvient à les faire vivre et à les incarner, qu’il s’agisse de la malheureuse mais combative Joanna ou des Ledford, antagonistes aussi bêtes que méchants, mais dont certains membres finissent pourtant par toucher, car eux non plus n’ont pas été épargnés par le destin.

En définitive, ces personnages synthétisent assez bien les forces de Chiens des Ozarks. Eli Cranor a réussi un roman qui se lit avec beaucoup de plaisir et qui s’inscrit dans une lignée revendiquée par l’auteur lui-même. Dans les désormais traditionnels remerciements qui concluent le livre, l’écrivain salue ses pairs : ceux qui l’ont accompagné au cours de l’écriture de Chiens des Ozarks et ceux qui l’ont inspiré. On croise alors des noms bien connus des amateurs de polars : ses contemporains Ace Atkins, S. A. Cosby ou Michael Farris Smith ; mais aussi les maîtres incontournables, Larry Brown, Flannery O’Connor, Jim Thompson, Harry Crews.

Avec Chiens des Ozarks, Eli Cranor cherche visiblement à s’inscrire dans cette généalogie. Il y parvient, même si l’influence de ces auteurs reste trop perceptible par endroits. Pour autant, les qualités démontrées par ce roman sont indéniables : au sens du rythme, il faut ajouter sa capacité à saisir l’atmosphère d’un coin perdu des États-Unis. Il ne fait donc aucun doute qu’Eli Cranor est désormais un auteur à suivre de près.

Grégory Seyer

Chiens des Ozarks
Un roman d’Eli Cranor
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Emmanuelle Heurtebize
Éditeur : Sonatine
304 pages – 22 €
Date de parution : 9 janvier 2025

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