« Deux amis sur mes épaules » : guérir sous le poids du passé

Avec ce roman graphique, l’autrice sud-coréenne Lee Suyeon retrace tout en douceur le parcours initiatique d’une jeune femme pour se libérer d’une blessure subie durant son enfance, avec une poésie agissant tel un baume apaisant.

Deux amis sur mes épaules – Lee Suyeon
© 2024 Lee Suyeon / Seuil

Traumatisée par l’abandon de sa mère alors qu’elle n’était qu’une enfant, Toki grandit avec une panthère noire jugée sur ses épaules, visible d’elle seule, comme un lourd secret qui l’isole du reste du monde par ses paroles toxiques et lancinantes. Grâce à son mariage avec un jeune homme bienveillant, Loutrot, les blessures s’apaisent mais ont du mal à cicatriser. Le salut viendra-t-il de cette perruche qu’elle a adoptée et décidé de soigner ?

Deux amis sur mes épaules – Lee SuyeonAvant d’entamer la lecture de Deux amis sur mes épaules, on n’est pas trop sûr de ce à quoi on a affaire. Il s’agit d’un objet assez indécis, entre la bande dessinée et le livre illustré pour enfants, plus sûrement une fable pour « young adults » et grands adolescents, capables d’appréhender le traumatisme que peut entraîner l’abandon d’une mère. L’illustratrice sud-coréenne Lee Suyeon, dont c’est le premier ouvrage en tant que bédéiste, nous offre un récit plein de douceur qui puise dans l’enfance le remède pour tenter de soulager les maux adultes.

Il y a beaucoup de poésie dans Deux amis sur mes épaules, avec cette jolie trouvaille de mettre en confrontation passé et présent, par le biais de deux personnages imaginaires. Le premier d’entre eux, la panthère noire, symbolise le poids obsédant d’une enfance blessée, et le second, la perruche exotique, représente l’ouverture et la voie vers la guérison. On ne sait vraiment s’il s’agit d’une autofiction, mais on peut imaginer le fardeau douloureux résultant de la « fuite » de celle qui vous a élevé.e, une souffrance qui isole et que les rares proches, même bienveillants – ici en l’occurrence l’amie d’enfance Ourselette et le jeune mari Loutrot  — ne suffisent pas forcément à consoler, comme l’autrice en fait la démonstration.

Le livre, qui fait près de 200 pages, n’est pas exempt de quelques longueurs mais c’est sans doute le format qu’il fallait à l’autrice pour exposer avec subtilité la douleur d’une telle absence et évoquer l’espoir qui renaît progressivement, notamment avec l’oiseau exotique qui fait son apparition en seconde partie. Graphiquement parlant, on est plus dans le registre de l’illustration que de la bande dessinée, avec les textes et les dialogues en surimpression sur les images. Le trait est fragile et enfantin, mais le jeu des couleurs, très agréable, compense habilement ces maladresses, et certaines planches pleine page sont très réussies. Reflétant les états d’âmes de la jeune Toki, elles sont un peu sombres et grisâtres au début pour évoluer vers des tonalités plus chatoyantes ensuite.

Deux amis sur mes épaules nous réserve une fin touchante et inattendue, assortie d’une suggestion salutaire pour tous ceux qui « rencontrent la panthère chaque fois qu’ils ferment les yeux et rêvent ». Et son propos pourrait bien concerner les victimes de traumatismes d’une manière générale, des traumatismes avec lesquels il faut bien continuer à vivre.

Laurent Proudhon

Deux amis sur mes épaules
Scénario et dessin : Lee Suyeon
Traduction : Catherine Biros et Lim Yeong-hee
Editeur : Seuil
216 pages – 24 €
Parution : 13 septembre 2024

Deux amis sur mes épaules — Extrait :

Deux amis sur mes épaules – Lee Suyeon
© 2024 Lee Suyeon / Seuil

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