David Gray – Dear Life : clairement un « grower » !

Il faut admettre que, depuis le choc que fut le magnifique White Ladder, nous nous sommes un peu désintéressés de la musique de David Gray, qui nous semblait faire du surplace. Alors que sort Dear Life, son treizième album, bien reçu Outre-Manche, il était grand temps de faire le point, non ?

David Gray Photo Robin Grierson
Photo : Robin Grierson

Connaissez-vous David Gray ? Et je ne vous demande pas d’aller consulter sa fiche Wikipedia (« un chanteur, auteur-compositeur et multi-instrumentiste britannique dont la carrière, s’étendant sur plus de trois décennies, a marqué la scène musicale internationale par sa sensibilité et son talent », ce genre de trucs qui veut à la fois tout dire et rien du tout) ! En fait, ceux qui connaissent David Gray en France écoutaient déjà de la musique en 1998 : beaucoup de ceux-là sont tombés alors sous le charme de White Ladder, superbe bombinette pop-folk, qui, portée par quelques singles entêtants, dont Babylon, fit un véritable holdup sur les charts au Royaume-Uni, mais pas que… Je me souviens qu’à l’époque, j’avais sommairement décrit White Ladder comme l’album qu’aurait écrit et chanté Elton John s’il avait eu meilleur goût. Ce qui était à la fois un compliment et une critique, parce que le « bon goût » n’est certainement pas un critère de qualité dans le Rock…

Dear LifeCe qui fait que, une fois le soufflé de White Ladder retombé, je me suis vite lassé des disques bien polis de David Gray, souvent beaux, mais encore plus souvent assez ennuyeux. Alors, me demanderez-vous, qu’est-ce qui a changé qui justifie mon intérêt pour son treizième album studio ? Eh bien, outre les critiques très positives en Grande-Bretagne qui louent « sa profondeur émotionnelle et sa richesse lyrique » et qui nous informent que « composé de 13 titres, cet opus explore des thèmes tels que l’amour, le changement et la mortalité » : soit le genre de vague compliment qui pourrait très bien avoir été écrit par une IA, comme c’est de plus en plus souvent le cas de nos jours…

Ce qui a le plus changé, c’est MOI, en fait, qui me laisse séduire plus qu’avant par des « disques de vieux », des albums d’artistes qui méditent avec sérénité et / ou angoisse (légère, l’angoisse, on n’est pas chez Joy Division !) sur le sens de l’existence, qui reviennent sur des décisions bien ou mal prises dans leur vie, et qui s’interrogent sur tout ça, sachant que la Mort peut s’inviter au bal à tout moment. Et c’est bien ce que nous promet le titre du disque : « Dear Life« . J’imagine qu’à ce stade, pas mal de lecteurs ont quitté le bateau : c’est très bien comme ça, on reste juste entre nous, entre gens d’un « certain âge » (merci, Neil Hannon…) qui risquent d’adhérer à la démarche de David Gray

Pour ceux qui n’auraient jamais écouté ses disques, précisons que l’une des caractéristiques majeures de Gray est sa voix : singulière, légèrement rauque désormais, plus proche désormais de celle de Guy Garvey, le chanteur d’Elbow (et d’ailleurs, l’atmosphère de Dear Life peut rappeler celle de certains albums d’Elbow…). Admirateur de Bob Dylan et de Van Morrison, Gray soigne ses textes et leur poésie, abordant sans crainte de tomber dans les clichés (ce qu’il fait rarement, reconnaissons-le..) des thèmes universels tels que l’amour, le temps qui passe, le deuil, et, évidemment, la quête de sens… Musicalement, on est donc dans un pop folk, à moins qu’il ne s’agisse de folk pop, qui ne craint heureusement pas de prendre quelques risques en invitant un grand orchestre, ou en jouant avec l’électronique. Et puis, même si ce n’est pas le sujet ici, Gray a une belle réputation de performer scénique, sachant créer du lien avec son public qui l’adore. Le gag étant qu’il bouge sans cesse sa tête en jouant (un « headbanger » ?), ce qui est devenu une sorte de sujet de plaisanterie en Grande-Bretagne.

Dear Life est donc un album qui déploie avec tranquillité (pas de pogo possible ici) mais avec une indéniable majesté sa thématique sur une heure, ce qui est un peu exagéré : on ne peut pas s’empêcher de penser que, concentré sur 40 minutes, l’album aurait été meilleur. Et puis, problème non négligeable, on doit noter l’absence de morceaux véritablement accrocheurs, qui auraient permis à Gray d’effectuer un véritable un retour en force du point de vue commercial (vous m’avez compris, ce n’est pas White Ladder 2 !).

Dès l’ouverture, After the Harvest, Gray établit le ton contemplatif et la texture de l’album. « Through days like empty fields after the harvest / This ache where the heart is / Like a tree that’s bare, ’neath a sky that’s starless / Like something out of place / I feel all used up I feel tarnished / Like smudged eyeliner, chipped nail varnish / Like something scarcely visible garnished / With a face » (À travers des jours qui ressemblent à des champs vides après la récolte / Cette douleur où se trouve le cœur / Comme un arbre nu, sous un ciel sans étoiles / Comme quelque chose qui n’est pas à sa place / Je me sens usé, Je me sens terni / Comme un eye-liner barbouillé, un vernis à ongles écaillé / Comme quelque chose d’à peine visible mais garni / D’un visage). Ce n’est pas gai, mais c’est beau : les arrangements soignés (en particulier l’utilisation d’un orchestre), la beauté de la mélodie et la sincérité de l’interprétation en font un futur classique potentiel pour ses sets.

Ce genre de commentaire pourrait d’ailleurs s’appliquer à pas mal de chansons du disque, mais le titre suivant, Plus & Minus se distingue par un petit sursaut d’énergie, et apporte une touche de légèreté à l’affaire : il y a peut-être là une dynamique pop susceptible de plaire à un plus large public. Mais pas d’inquiétude pour ceux qui préfèrent leur musique triste à fendre l’âme, le bien nommé Eyes Made Rain est là pour maximiser l’impact émotionnel du disque sur eux ! Le très long Leave Talking (sept minutes) construit sur des boucles une sorte de mini-cathédrale prog et accepte un certain niveau de lyrisme (retenu, bien sûr…) qui était jusque là absent de Dear Life : « I’m holding on so tight / To what was never mine » (Je m’accroche si fort / À ce qui n’a jamais été à moi). Honnêtement, c’est absolument magnifique, et notre patience sera pleinement récompensée. A priori, c’est le sommet de l’album, mais il est possible que je change d’avis en poursuivant les écoutes répétées du disque, clairement un « grower ».

I Saw Love bénéficie de la mélodie la plus facile, la plus immédiatement mémorisable de tout l’album, tout en restant extrêmement délicate, d’une jolie sensibilité : voilà une chanson qui devrait devenir un très beau moment en live. Fighting Talk tranche ensuite, en injectant un peu de soul, voire un léger déhanchement funky, dans une contexte planant, atmosphérique : un délicieux pas de côté. Sunlight On Water nous ramène à une ambiance mélancolique, méditative, pour une interrogation sur la possibilité de reconstruire un amour défait : « Thoughts are splintering like / Sunlight on water / After the fact / Baby I can’t deny it / You know that I wanna / But honey how am I gonna / Put all the pieces back » (Les pensées se brisent comme / La lumière du soleil sur l’eau / Après coup / Chérie, je ne peux pas le nier / Tu sais que je le veux / Mais chérie, comment vais-je / Remettre tous les morceaux en place ?). Touchant.

That Day Must Surely Come est un titre « folk », jouant la carte de la simplicité, du dépouillement, apportant un sentiment de quasi sérénité. Avec le gentil Singing For The Pharaoh, on ne peut s’empêcher de ressentir un sentiment de redite. Acceptance est le titre qui retrouve le plus franchement la recette de White Ladder : pas si loin des balades d’Elton John, donc, et on ne s’en plaindra pas. Future Bride est le genre de morceau qu’on trouve typiquement en milieu de seconde face d’un album, et dont, en dépit d’une belle intervention de cuivres, on se serait passé pour avoir une version plus efficace de l’album. Même chose avec The Only Ones, qui exige qu’on s’intéresse à son texte, abscons et rempli pour une fois de visions assez sombres.

Heureusement, les six minutes trente de la conclusion de l’album, The First Stone, retrouvent l’ambition formelle de Leave Talking. On peut regretter la voix de fausset qu’adopte Gray, mais l’usage de sonorités électroniques permet au titre de sortir par le haut au milieu de la tracklist. Même si les derniers mots sont des reproches adressés à un être aimé qui nous a trahi (« You took the better part of me / Folded it into / Into the sweeter part of you / Why did you have to / Be the one / To throw the first stone » – Tu as pris la meilleure partie de moi / Tu l’as pliée dans / Dans la partie la plus douce de toi / Pourquoi a-t-il fallu / Que tu sois la personne / Qui me jette la première pierre ?)…

Voici donc une collection de belles chansons qui devraient nous tenir occupés pendant les 20 prochaines années, après quoi il sera sans doute nécessaire d’aller écouter le vingtième album de David Gray.

Eric Debarnot

David Gray – Dear Life
Label : Laugh A Minute Records
Date de sortie : 17 janvier 2025

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