« On a tiré sur Aragon » de François Weerts : hommage à la Série Noire

Le Belge François Weerts nous plonge dans une Bruxelles des années 60 douloureusement marquée par l’ombre de la guerre. En hommage aux « privés » de la Série Noire, il tisse une intrigue mêlant agréablement histoire et littérature.

© Wouter Van Vaerenbergh

On découvre avec délice cet auteur belge, François Weeters, qui nous invite dans une Belgique un peu déphasée, celle des années 60, avec ce bouquin qui n’aurait pas déparé la fameuse Série Noire.
Bruxelles avait, à cette époque, encore un air de province vue depuis Paris et l’ambiance était toujours plombée par les mauvais souvenirs des années 40.
Avec une intrigue policière prétexte à un rappel à la fois historique et littéraire où se mélangent agréablement faits historiques et inventions romanesques, « On a tiré sur Aragon » procure un dépaysement semblable à celui du Maroc de Melvina Mestre : la tour Martini de Bruxelles (aujourd’hui remplacée) nous a rappelé l’immeuble Liberté de Casablanca.

On a craqué pour ce parfum désuet qui colle parfaitement et à l’époque et au style de la Série Noire, celle des Chandler et Hammett. Un mélange d’un peu de sexe, de beaucoup d’alcools et d’un langage plus proche de l’univers de Michel Audiard que de celui de Frédéric Dard.
On aime le décor historique qui sert de toile de fond à l’intrigue : dans cette Belgique divisée, les blessures de la guerre sont encore loin d’être cicatrisées.
Les séquelles restent vivaces pour ceux qui ont vécu trahison, collaboration, résistance, épuration, …
Et quand on est ou a été communiste, à tout cela vient s’ajouter le traumatisme du pacte germano-soviétique.
On aime les portraits sarcastiques que dessine cet auteur belge, plus habile au vitriol qu’au pastel, même si quelques dialogues sonnent parfois un peu faux, trop écrits sans doute, trop explicatifs.

Le héros Viktor Rousseau est un détective privé qui ne dédaigne pas exécuter quelques diverses besognes et enquêtes variées pour ses anciens camarades du Parti Communiste Belge.
Il profite du réseau et de l’entregent de son amie Marie-Claire qui reçoit le gratin bruxellois et diverses célébrités et chanteurs dans son club de cette tour Martini, l’équivalent belge de notre « Chez Castel » parisien.
Viktor va même croiser la nièce de Franquin, la Belgique n’est-elle pas l’une des patries de la BD ?!
Et on aime bien que la fin du roman laisse suffisamment de questions ouvertes pour qu’on puisse espérer une suite où retrouver Viktor, le « privé » belge des sixties.

Nous voici en 1965 dans la plaine de Waterloo : un tireur inconnu manque de peu le poète Louis Aragon venu se remémorer ses souvenirs de guerre.
« […] – Vous croyez donc que quelque nazillon cinglé m’a réellement visé, qu’il s’en est fallu de peu ?
– Oui et non. Il est possible que le tireur vous ait manqué délibérément.
– Je ne saisis pas. Un vrai faux attentat ? Vous ne pensez pas que j’ai organisé une opération publicitaire ?
– Jamais de la vie. La solution est ailleurs. Mais où ? »

Dans le même temps, un mystérieux poète se vante d’avoir retrouvé le dernier manuscrit de Paul Nizan, mort sur le front en 1940.
« […] Un poète prétend avoir retrouvé les carnets de Paul Nizan, le manuscrit perdu à sa mort. Il affirme également qu’il a été assassiné en réalité par le NKVD. Pour le punir de son refus du pacte germano-soviétique. »

L’enquête piétine en rond : les amateurs de thrillers politiques survoltés seront déçus car François Weerts s’intéresse beaucoup plus à peindre les portraits des acteurs qu’il imagine dans cette époque troublée.
Ambiance et personnages font tout le charme de ce bouquin.
« […] Deux histoires qui se chevauchaient mais qui s’emboîtaient mal, comme si les pièces venaient de deux puzzles différents.
[…] Vrai attentat ou simulacre ? Les fachos, les Américains, un rival ou un mari jaloux ? Je patauge. »

Les deux écrivains communistes se haïssaient violemment : Nizan fut de ceux qui quittèrent le PC après la signature du pacte germano-soviétique. Aragon fut de ceux qui condamnèrent ce traître à l’idéal socialiste incarné par le camarade Staline.
Une époque où il était très difficile de bien choisir son camp.

Entre un espion venu de RDA, des barbouzes français du SDECE et divers policiers ou malfrats belges, le détective Viktor aura fort à faire pour démêler l’inexplicable vrai-faux attentat contre Aragon : anticommunisme primaire, anciens collabos nostalgiques ou vengeance d’après-guerre ?
Et le dénouement en demi-teinte sera celui du constat un peu amer et désabusé que l’auteur porte sur sa ville et cette époque trouble.

Bruno Ménétrier

On a tiré sur Aragon
Roman de François Weerts
Editeur : Editions du Rouergue
448 pages – 23 €
Date de parution : 8 janvier 2025

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