« L’Ombre portée » d’Hugues Pagan : le meilleur du polar français

Hugues Pagan, Grand prix de littérature policière 2022, est de retour avec une nouvelle enquête de l’inspecteur Schneider. Ce flic taciturne et énigmatique aux faux airs du jeune Delon arpente inlassablement les rues d’une ville sans nom, dans une intrigue touffue qui flirte par moments avec le fantastique. Magistral !

Hugues Pagan
© Hannah Assouline Opale Editions Rivages

Faut-il encore présenter Hugues Pagan ? Ancien prof de philo, ancien flic, Pagan construit depuis le début des années 80 une œuvre romanesque magistrale dans laquelle s’épanouissent aussi bien sa parfaite connaissance du métier de policier qu’une écriture remarquable de noirceur et de délicatesse.

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Dans ce nouveau roman, L’Ombre portée, on retrouve son personnage fétiche, l’inspecteur Schneider, un personnage a priori archétypal mais auquel Pagan a su donner une véritable épaisseur. Taiseux, méthodique, obstiné, Schneider impressionne autant qu’il intrigue tous ceux qui le fréquentent de près ou de loin. Le groupe de policiers qu’il dirige doit enquêter sur un incendie qui a fait trois victimes et dont l’origine criminelle ne fait aucun doute. Un suspect est vite arrêté mais il apparaît très vite qu’il a été engagé par mystérieux individu, homme de main d’un couple de notables à propos desquels circulent de rumeurs toutes plus inquiétantes les unes que les autres. Tel est le point de départ d’une intrigue complexe, touffue, qui s’étire sur de nombreuses semaines et qui va rapidement développer de multiples ramifications, parfois à la limite du fantastique.
On retrouve donc ici le goût de Pagan pour le récit des procédures policières. C’est ce quotidien, parfois fastidieux, qui constitue le fil narratif principal d’un roman qui s’attarde sur les auditions des suspects et des témoins, sur l’attente des résultats des expertises scientifiques mais aussi sur les cafés et les verres bus chaque jour dans le troquet qui fait face au « Bunker », le commissariat de cette ville sans nom qui constitue le décor principal des enquêtes de Schneider et de ses hommes. Hugues Pagan se montre aussi très habile dans l’évocation des intrigues de couloir qui se trament entre les hommes de pouvoir (commissaire divisionnaire, préfet, procureur) et avec lesquelles les hommes de terrain doivent composer.
Mais, au-delà cette dimension purement policière, ce qui fascine le plus dans l’œuvre de Pagan, ce sont les personnages et l’écriture. Dans L’Ombre portée, l’écrivain approfondit un peu plus le portrait de Schneider, flic hors-norme, taiseux, énigmatique, rongé par un passé douloureux. Cet homme au regard gris, souvent dissimulé derrière sa paire de Ray-Ban, apparaît ici comme un personnage fatigué, rongé sans doute par une solitude de plus en plus pesante et qui comprend que, désormais, le temps joue contre lui.
Quant au style Pagan, il fait à nouveau merveille dans ce roman dont l’écriture ciselée, aussi fine dans la description des lieux, des atmosphères que dans l’évocation de l’intériorité des personnages, émerveille à plusieurs reprises au point de relire plusieurs fois une même phrase afin de parfaitement en saisir la musicalité mais aussi toute la portée. Ils ne sont pas nombreux les auteurs capables d’écrire un tel passage : « Dans une ville, la nuit n’est jamais tout à fait la nuit. Tout est peuplé de lumières et de songes, ceux des vivants et des morts dont les ruelles, les places et les avenues parfois, conservent au hasard le souvenir des yeux crevés et des souvenirs éteints. »
Chez Pagan, les phrases se délient et contiennent en elles autant de désespoir que de délicatesse, de colère que d’humanité. Et c’est ce qui rend son style unique.
Certains reprocheront peut-être à cette Ombre portée ses longueurs, ou plutôt sa lenteur. On pourra au contraire y voir un rythme parfaitement adapté à l’un des thèmes du : le temps. Le temps laissé derrière nous, celui qui nous a définitivement échappé et que l’on ne pourra pas rattraper, mais aussi celui qui nous reste à parcourir mais que l’on ne peut mesurer.
L’ombre portée confirme donc l’importance et la singularité de l’œuvre d’Hugues Pagan. Une œuvre exceptionnelle, sans aucun doute l’une des plus importantes du roman policier français.

Grégory Seyer

L’Ombre portée
Un roman d’Hugues Pagan
Éditeur : Rivages/Noir
452 pages – 22 €
Date de parution : le 15 janvier 2025

1 thoughts on “« L’Ombre portée » d’Hugues Pagan : le meilleur du polar français

  1. Hugues Pagan occupe une place à part, un peu déphasée, au rayon polars. Et son flic fétiche, l’inspecteur Schneider, également. Une fois de plus, voici un roman d’une noirceur désespérée dans une ambiance très seventies.
    Mais peut-être pas l’épisode le plus accessible de la série.

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