« Simon & Lucie : les ciels changeants », de Kokor : l’amour à la folie

L’amour passionnel peut-il finir autrement qu’en tragédie ? L’amour absolu peut-il survivre dans ce monde de brutes ? C’est en substance le propos de ce beau et âpre récit intimiste qui nous entraîne dans la folie d’un amant peut-être un peu « trop » romantique…

Simon et Lucie : les ciels changeants — Alain Kokor
© 2024 Kokor / Virages graphiques

Elle, une mère en deuil dont la vie s’étiole dans les antidépresseurs et l’alcool. Lui, un père divorcé et absent, obnubilé par la peur de vieillir. Deux ados fragiles et solitaires qui se sentent hors du monde, trouvant refuge dans la littérature ou l’art, tandis que leur complicité se mue peu à peu en amour. Jusqu’à ce coup de folie de Simon qui décide de graver sur son bras le prénom de sa bien-aimée, un geste qui les éloignera l’un de l’autre et provoquera l’internement du jeune garçon dans une clinique psychiatrique. Mais Simon ne se résout pas à accepter le fait que son histoire d’amour avec Lucie soit terminée…

Simon et Lucie : les ciels changeants — Alain KokorEn s’inspirant des écrits du dramaturge et écrivain Diastème, Alain Kokor nous propose une tragédie contemporaine qui fera sans nul doute chavirer les cœurs les plus romanesques. Les deux amants, personnages récurrents dans l’œuvre de Diastème, sont des jeunes gens qui s’aiment, passent beaucoup de temps ensemble et cherchent à fuir la réalité d’un monde trop dur en se récitant des passages d’Andromaque, la célèbre tragédie lyrique de Racine à laquelle ils s’identifient totalement. Enfants uniques livrés à eux-mêmes, ils trouvent du réconfort dans leur amour naissant, un amour exclusif que Simon va compromettre par un acte de folie : se taillader le bras en tentant d’y graver le nom de Lucie. Effrayée par son geste, Lucie va fuir en Bretagne chez son oncle mais Simon va « piquer » la mob de son père, afin, dit-il, de la « délivrer ». Jusqu’au dénouement, quelque peu imprévu, le récit fera des va-et-vient temporels entre le séjour à l’asile de Simon et les raisons qui ont conduit à son internement.

Très bien construite et assez captivante, la narration de Simon & Lucie va évoluer en se centrant principalement sur le personnage de Simon, qui n’hésitera pas à s’abimer pour sauver l’amour qu’il croyait être réciproque avec Lucie. En effet, ce garçon possède un cœur pur, un rien fleur bleue. Et le monde est bien trop étroit pour abriter sa quête d’absolu, vers laquelle il cherche à entraîner son amante, en vain. Au docteur qui lui affirme que ce n’est pas en faisant des allers et retours dans la réalité qu’il s’en sortira, Simon lui rétorque qu’il a accepté l’idée d’être fou. Sa folie, c’est de ne pas lire jusqu’au bout les romans, ou de ne pas s’en souvenir, tout comme il refuse de croire à la fin de son histoire avec Lucie.

A l’image du récit, les personnages sont réalistes et attachants, y compris les deux pensionnaires de la clinique Barthélemy et « La Gosse ». Le mélange de mélancolie et de résilience dont fait preuve Simon est assez touchant, le lecteur ressent à la fois de la fascination et de l’empathie par rapport à son refus de la fatalité et le contrôle qu’il opère sur sa propre folie. Mais tout de même, le pauvre garçon semble se complaire dans son déni, ignorant sans doute que le retour de l’être aimé, ça ne se voit que dans les romans à l’eau de rose… il devrait pourtant le savoir, lui qui est si friand de tragédies !

Simon et Lucie : les ciels changeants — Alain Kokor
© 2024 Kokor / Virages graphiques

Si le dessin de Kokor peut paraître parfois esquissé, il n’en est pas moins stylé et convient bien à l’ambiance intimiste de Simon & Lucie. Centré surtout sur les personnages et les attitudes, il sait restituer des paysages quand il le faut pour donner une respiration allégeant la descente aux enfers vécue par Simon, ou se faire plus abstrait pour traduire par exemple les effets de la camisole chimique. Pas de mise en couleurs ici, on reste principalement sur une monochromie discrète, douce-amère pourrait-on dire, ou une bichromie oscillant entre le beige et le rouge, plus rarement sur le bleu et le vert.

Que l’on croit ou pas aux histoires d’amour avec un grand A, on pourra trouver beaucoup de charme à ce roman graphique, d’une authenticité qui ne pourra laisser de glace. On pourra peut-être regretter le fait que le récit se détourne totalement de Lucie après l’épisode « des bras tailladés » pour se centrer uniquement sur Simon. On aurait aimé en savoir plus sur l’évolution psychologique de l’adolescente et ses « ciels changeants » à elle, même si cela risquait d’altérer l’effet de surprise du dénouement final. Une chose est sûre, Simon & Lucie est une œuvre marquante et qui ne laissera pas indifférent.

Laurent Proudhon

Simon & Lucie : les ciels changeants
D’après l’oeuvre de Diastème
Scénario et dessin : Alain Kokor
Editeur : Virages graphiques
320 pages – 29 €
Parution : 2 octobre 2024

Simon & Lucie : les ciels changeants — Extrait :

Simon et Lucie : les ciels changeants — Alain Kokor
© 2024 Kokor / Virages graphiques

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