[Live Report] Gwendoline et Carriegoss à la Cigale : « Rendez-vous au PMU à huit heures du matin ! »

Gwendoline, qu’est-ce que c’est ? Tentative de description d’un véritable phénomène du rock français, vu hier soir dans une Cigale complète et littéralement en fusion.

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Gwendoline à la Cigale – Photo : Eric Debarnot

Gwendoline, c’est un groupe qui monte très vite, depuis la sortie de son excellent second album, C’est à moi ça. Mais c’est aussi un groupe qui divise : nombreux sont les fans de Rock qui ne les prennent pas au sérieux, comme si cette synth pop / cold wave bricolée sur laquelle ils posent leur paroles, terribles, ne faisait pas d’eux des rockeurs crédibles. D’ailleurs, ce soir, peu de visages connus à la Cigale, remplie d’un public moins jeune que l’on pouvait imaginer, plutôt trentenaire, voire quadragénaire… Et pourtant, quelle expérience les Rennais – désormais établis à Brest – vont nous offrir !

2025 01 23 Carriegoss La Cigale NB (1)Mais il faut d’abord en passer par un set conventionnel, trop conventionnel, de Carriegoss, qui recycle les sons techno / électroniques des années 80 sur lesquels un groupe comme New Order a construit la plus grande partie de son œuvre. L’idée, pas bête du tout, de Carriegoss, jeune musicienne venant de Rennes, c’est de nous faire danser tout en exprimant le maximum d’émotions, grâce à une voix puissante et expressive. On adhère au principe avec enthousiasme, mais là, ce soir, ça ne fonctionne pas. Oui, on danse, ou au moins on dodeline de la tête, mais on s’ennuie ferme pendant trente longues minutes, faute de morceaux marquants, et qui ne citent pas directement trop de choses déjà beaucoup entendues. Peut-être la salle de la Cigale était déjà trop grande pour que ce concept fonctionne.

21 h 00 : le set de Gwendoline commence dans l’obscurité – et continuera d’ailleurs de la même manière, ce soir c’est spectacle « sons sans lumières » – dans une ambiance très cold wave, planante. Les voix sont également un peu en retrait, ce qui empêche régulièrement de goûter au charme de leurs paroles pourtant essentielles. On remarque rapidement que, même en format quatuor, Pierre Barrett et Michaël Olivette, le duo originel qui se relaie au « chant », peine à reproduire sur scène une musique qui semble pourtant couler de source sur leurs albums. Mais on se console très vite en réalisant que la différence de Gwendoline en live se crée sur les refrains, qui ont tout à fait l’allure d’hymnes désespérées, à reprendre tous en chœur, complètement bourrés…

2025 01 23 Gwendoline La Cigale (8)… Et on ne sait pas si le public de la Cigale est bourré, mais en tout cas, à chaque fois qu’un morceau s’y prête, tout le monde part en vrille en hurlant à tue-tête les slogans déplorables mais tellement bouleversants du groupe : « Car ce monde est génial ! » (Conspire) « Golf ! Poney ! Transat ! Selfie » (Clubs) ou encore « Tous les soirs, c’est la soirée de l’année, même si les bars sont déjà fermés ! Tous les soirs on ira se noyer sur le trottoir devant chez Didier ! » (Rock 2000). Et il y en aura bien d’autres durant l’heure et quart de concert. Pour nous aider à chanter, comme si on était à un grand karaoké, une bière à la main, bien sûr, les paroles défilent régulièrement sur l’écran derrière le groupe, sur lequel sont braqués les regards puisque les musiciens opèrent de manière discrète, très peu éclairés.

La setlist alterne les chansons des deux albums, avec celles tirées d’Après c’est gobelet ! dégageant un esprit plus punk, comme le formidable Chevalier Ricard (« J’en ai rien à foutre ! »), et celles du dernier album semblant encore plus sombres, plus nihilistes. On pourra regretter que les passages purement instrumentaux, avec les deux guitares qui cherchent une sorte de transe noisy / shoegaze qu’elles peinent à atteindre, manquent de puissance. Mais, dans la dernière ligne droite, cela passe au second plan derrière la fascination que dégage l’entêtement de Gwendoline à fouiller les plaies ouvertes de notre société, de notre époque. À mêler le dérisoire, le sordide – avec cette célébration quasiment hébétée de l’alcool comme solution bien française à tous les problèmes existentiels – à l’expression d’un désespoir terminal. Oui, on est rentrés dans la nuit interminablement poisseuse qu’est l’univers de Gwendoline, et on AIME ça, surtout d’ailleurs de ne pas savoir s’il faut en rire ou en pleurer.

Merci la ville se défait de ses atours gris et déprimants pour devenir une pure folie furieuse, avec des centaines de petits pois mexic…, non parisiens, pour le coup, qui chantent à gorge déployée « Merci la ville ! ». Et puis, après tout, quel meilleur projet que celui de Audi RTT : « Rendez-vous au PMU, à huit heures du matin ; partir en retraite en mobylette avec tous les copains ! », parce que « la vie, c’est dur, putain ! » ?

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Tout le monde essaie en ce moment de qualifier cette musique singulière que jouent Gwendoline, alors, récapitulons tout ce qui nous a traversé l’esprit pendant cette heure quinze minutes : cette dark wave bricolée façon Noir Boy George, cette dépression qui rappelle le Houellebecq de Présence Humaine, mais un Houellebecq de gauche, cette facilité à faire chanter en chœur à un public déchaîné des cris de révolte ironiques évoquant les Bérus, tout ça est totalement passionnant.

A la sortie, une jeune femme, devant, dit : « C’est le meilleur concert que j’aie jamais vu ! ». Le vieux con en nous a envie de rétorquer : « Mais combien de concerts est-ce que tu as vu ? ». Et puis, on se retient, et on se souvient avoir prononcé les mêmes mots en sortant de nos premiers concerts punks, en 76. Et on se dit qu’elle a raison, et que c’est un vrai espoir que de voir une Cigale complète, pleine de gens qui pensent que Gwendoline est en ce moment le groupe le plus excitant sur la planète.

Texte et photos : Eric Debarnot

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