DITZ mérite des tas d’étiquettes, et probablement beaucoup de qualificatifs : le groupe réussit parfaitement l’épreuve du second album, avec ce Never Exhale, tendu comme une arbalète, noir comme la mort, hurlant, fort, violent et curieusement addictif. Plus que la bande son d’une époque, un vrai bon album.
Never Exhale est le second album de DITZ, un groupe de Brighton formé il y a presque dix ans maintenant (lors de la première édition du Mutations Festival en 2015) et qui s’était déjà fait remarquer en bien, en très bien même, avec The Great Regression (2022). Un premier album qui leur avait permis de gagner non seulement une certaine reconnaissance (peut-être pas en France, où le disque est passé un peu inaperçu) mais aussi la possibilité de tourner avec IDLES. Mais leur avait aussi donné droit à la fameuse, et maintenant complètement ridicule, étiquette de groupe… post-punk. Pourquoi pas ? Admettons. Le qualificatif pouvait aller pour The Great Regression. Mais il devient complètement déplacé avec Never Exhale, – on pourrait admettre que le groupe « dépoussière le post punk », comme l’affirment les Inrocks. On pourrait aussi reconnaître qu’ils font autre chose. Bruitisme, hardcore, avant-garde, experimental noise pop, il y a un peu de tout ça, comme on peut le lire dans un interview qu’ils ont donné à Stereogum.
Au-delà des qualificatifs et étiquettes, ce second album est surtout bien supérieur au précédent, un tel saut qualitatif qu’il en est surprenant. Non seulement parce que les mélodies, le chant, les compositions, les arrangements, tout ça est parfaitement maîtrisé. Mais aussi surtout à cause de l’ambiance, l’atmosphère : Never Exhale vous prend aux tripes, vous les tord et ne vous les lâche pas pendant 40 minutes. 10 morceaux pendant lesquels la tension ne redescend jamais. Une expérience plus que sonore, plus que musicale, un bain effrayant et jouissif. 40 minutes qui se répètent, parce qu’on écoute et on réécoute ces 10 morceaux avec une délectation et une jouissance particulièrement aigüe.
Vous avez peur ? Ce monde vous file les jetons ? Vous n’êtes pas les seuls, et DITZ ont mis cette peur en musique ! Never Exhale est un album qui parle de haine, de divisions entre les gens, de corps mutilés, de voyages dans l’au-delà … « I feel like death / I wonder if he feels like me too » chante Cal Francis au début du bien nommé Senor Siniestrio, avant de parler de chiens et d’escargots…
L’un des morceaux qui illustrent parfaitement cette tension, et pourraient justifier le côté « bruitiste » et « hardcore » du groupe est 18 Wheeler, qui commence avec Francis qui chante, murmure, parle, rien de bien joyeux, « I’m stuck, but I try, I try alone », sur un fond rendu inquiétant par une basse lourd,e avant que des riffs de guitare viennent jeter une lumière pâle sur ce paysage blafard… Et puis tout éclate, explosion de guitares dissonantes, batterie et basse martiales, le chant devient hurlement, une respiration et puis ça repart, et ça dure encore 2 minutes. Le morceau est assez lent, très fort.
Le groupe sait aussi faire des choses plus rapides, plus brèves, tendues comme des élastiques, comme Space/Smile, l’un des singles du groupe, moins de 2 minutes qui commencent comme une version énervée d’un morceau post-punk (le vrai, celui des années 1980) avant d’exploser encore une fois sur le chant déchaîné de Cal Francis. Même chose sur Senor Siniestro, Francis crie plus qu’il ne chante, avec quasiment des larmes de désespoir dans la voix, et surtout avec des riffs de guitare absolument remarquables, à la fois mélodiques, abrasifs et addictifs. Une ritournelle qui accompagne un voyage sur le Styx ou l’Acheron. Pas grand-chose de bruitiste, cette fois, même si c’est bruyant.
Le groupe excelle dans ces changements de rythmes, dans ces morceaux assez dépouillés, dans lesquels la scène est posée par le chant et un instrument, avant que les autres n’envahissent tout, bousculent nos sens, perturbent notre perception de l’espace. Four, par exemple : « Smells Like Something Died in Here », répété encore et encore sur un lit de guitares de plus en plus rugueuses et inquiétantes. Ou encore The Body as a Structure, un morceau qui a une dimension mélodique un peu plus marquée, où les guitares donnent l’impression de sirènes (d’alarme, évidemment), mais qui finit encore sur une note dure, quelques secondes seulement mais on retrouve ce son lourd et rugueux, abrasif. Il faut que ça finisse comme ça, en tapant et en faisant crier les guitares. Le dernier morceau est du même acabit, Britney… 2 minutes toutes calmes, avant la tempête, on sait qu’elle va arriver, elle met du temps, le milieu du morceau est une sorte de lande brumeuse, vide et froide, mais elle arrive, la même explosion finale. Toujours aussi noisy, et aussi peu bruitiste.
Une mention spéciale pour le second morceau de l’album, Taxi Man, qui synthétise et résume parfaitement ce que le groupe sait faire de mieux : mélodie parfaite, un chanteur qui pleure en même temps qu’il chante et qui finit complètement dégoûté, des guitares qui hurlent (avec un côté Chemical Brothers, oui je sais…, dans ces guitares qui se prennent pour des alarmes), des instants de calme relatif, et un final tout en lave qui vous dégouline dessus. Ouf. Et on n’est qu’au second morceau. La suite, vous la connaissez…
Alain Marciano