Jeff Loveness et Jacub Rebelka proposent une magnifique et originale tentative de réhabilitation de la figure du traitre, doublée d’une réflexion sur le mal.
Vous connaissez tous l’histoire. Judas Iscariote vend son ami Jésus pour 30 petits deniers, puis, désespéré, se pend. L’apôtre déchu est accueilli aux enfers par une voix connue. Lucifer cherche à la convaincre que tout était écrit, qu’il a été trahi, car Jésus avait besoin de le voir damner. Depuis toujours, Dieu aurait besoin de méchants.
Avec sa couverture cartonnée et son épais papier, le livre est beau et agréable au toucher. Comme dans Le Dernier Jour de Howard Phillips Lovecraft du même éditeur, le travail, très personnel, de Jacub Rebelka est extraordinaire. Les grandes cases sont traitées comme des tableaux et les personnages ont la posture raide des vitraux médiévaux. À l’image des icônes, les décors sont seulement esquissés. Les couleurs, essentiellement des bleus et des rouges, sont froides et oppressantes. Son enfer associe la créativité fantastique de l’univers du Hellboy de Mike Mignola au désespoir glacé de L’Enfer de Dante illustré par Gustave Doré. Ses personnages sont suffisamment expressifs pour se passer de textes.
Ainsi, les vingt premières pages ne comportent qu’un récitatif. L’auréole noire de Judas ou le visage émacié aux yeux rouges du démon ne sont que deux des nombreuses trouvailles graphiques.
Si une fine connaissance de la Bible permet d’apprécier les subtilités du scénario, elle n’est pas nécessaire à la compréhension de l’histoire. Jeff Loveness pose, sans y répondre, le problème du mal, de la prédestination et de la liberté. Comment un Dieu tout-puissant tolère-t-il la souffrance et le mal ?
Si dans La dernière tentation du Christ, le roman de Nikos Kazantzákis, puis le film de Martin Scorsese, Jésus semblait succomber à la tentation de la vie ordinaire, Loveness le confronte à celle du désespoir. La résolution est maligne et l’album mérite une seconde lecture afin d’apprécier la finesse du dessin.
Stéphane de Boysson