La guerre de l’eau a-t-elle déjà eu lieu ? Cédric Gras nous invite à un périple extraordinaire, des étendues arides de la Mer d’Aral jusqu’aux glaciers du Pamir, source de l’Amou-Daria, un fleuve chargé d’histoire. Un écrivain-voyageur passionné et un récit captivant pour celles et ceux qui aiment l’histoire-géo.
Cédric Gras c’est cet écrivain voyageur qui s’est fait une réputation dans la « non fiction narrative ».
Après nous avoir encordés avec les Alpinistes de Staline puis les Alpinistes de Mao, il poursuit son exploration et de l’Histoire et de l’Asie Centrale avec ce nouveau récit captivant : Les routes de la soif.
Un titre choc pour ce voyage aux sources de ce qui fut la Mer d’Aral.
Une mer endoréique qui continue de s’évaporer à mesure que la folie des hommes épuise les eaux des fleuves mythiques de nos leçons d’histoire : l’Amou-Daria et le Syr-Daria qui dévalent depuis les montagnes du Pamir et qui constituaient jadis des obstacles presque infranchissables pour les armées d’Alexandre le Grand.
Une mer qui fut deux fois plus vaste que la Belgique et dont il ne reste quasiment plus rien.
La guerre de l’eau a-t-elle déjà eu lieu ?
Pour les besoins d’un reportage, Cédric Gras va accompagner un photographe-cameraman (Christophe Reylat) au cours d’un hasardeux trajet depuis les berges d’une Mer d’Aral asséchée, sur les rives du fameux fleuve Amou-Daria, et jusqu’au gigantesque glacier du Pamir où le fleuve prend sa source.
« […] Nous avions décidé de remonter l’Amou-Daria, véritable Nil de l’Asie centrale. »
L’Amou-Daria c’était l’Oxus des anciens, du temps où la région s’appelait la Transoxiane.
Encore aujourd’hui, le fleuve est surexploité pour l’irrigation : dans les années 60, les soviétiques avaient accélérer le mouvement pour transformer la région en grenier à coton, une forme moderne et socialiste de colonisation, tendance esclavagisme.
Après l’Ouzbékistan, c’est au tour de l’Afghanistan et du Turkménistan de construire ou d’agrandir des canaux gigantesques (le canal du Karakoum est le plus long du monde avec près de 1.400 km), des canaux qui pompent sans fin l’eau du fleuve pour irriguer indéfiniment ces régions désertiques.
Plus à l’est, aux sources glaciaires, le Kirghizistan n’a rien à irriguer et édifie des barrages hydro-électriques pour revendre l’énergie à ses voisins : chaque pays riverain cherche à tirer le maximum de profits de ce fleuve, « véritable Nil de l’Asie centrale ».
C’est ce périple au long des anciennes Routes de la Soie qui nous est conté ici d’une plume passionnée et passionnante car si Cédric Gras est voyageur, c’est aussi un excellent écrivain qui ne va pas se contenter des superbes images de son compagnon de voyage.
« […] Passée de la tradition orale à l’imprimerie, l’humanité s’en remet désormais à l’image, une nouvelle ère. Pour protester, je prends des notes à la dérobée sur un petit carnet. »
Au cours des temps géologiques, les forces naturelles ont modifié plusieurs fois le cours de l’Amou-Daria. Mais jamais l’impact des hommes n’a été aussi grand sur le fleuve et sa région.
« […] L’assèchement de l’Aral est le Tchernobyl de l’Asie centrale.
[… à propos d’un berger …] Les rares touristes forment aujourd’hui son unique bétail.
— Les eaux reculent chaque année d’une centaine de mètres. Je déplace mes yourtes pour suivre le retrait.
[…] Chacun sait que la mer ne reviendra plus. La Banque mondiale elle-même a cessé de financer les projets visant à sa renaissance.
[…] Le fleuve se retire aussi, lui et la mer s’éloignent irrémédiablement l’un de l’autre. « L’Aral c’est foutu, maintenant c’est l’Amou-Daria qui est en péril ».
[…] Entre surirrigation, barrages vertigineux, canaux de détournement, explosion démographique, une guerre de l’eau s’annonce-t-elle sur les vieilles routes de la soie ? »
Le voyage prendra fin au cœur du Pamir dans le glacier, le plus long du monde, une façon pour l’auteur de boucler la boucle puisqu’il y retrouve les sommets que gravirent les Alpinistes de Staline qui faisaient l’objet d’un précédent roman de sa part.
La chanson est hélas bien connue et bien sûr Cédric Gras évoque le fleuve surexploité, la mer disparue, la guerre de l’eau qui oppose les pays riverains, mais cet écrivain-voyageur, sait aussi nous faire partager ses rencontres et sa passion pour la géopolitique.
Même si l’on connait déjà la fin de l’histoire, son récit est, comme toujours, captivant et passionnant.
« […] L’épouse d’Ali apporte le thé façon karakalpake. Il ne s’agit pas d’avoir soif mais simplement d’honorer la coutume et de trouver des raisons de se taire en
buvant à petites gorgées.
[…] Sa femme, telle une ombre, se cantonne aux pièces attenantes après nous avoir timidement salués. Les traditions reviennent au galop dans les steppes. L’épouse ne peut être admise à la table familiale en présence d’hôtes. Le fils roi s’attable en revanche à la droite du père et nous mitraille de questions.
[…] Il paraît que la plupart des citadins de ce monde n’ont jamais contemplé la Voie lactée à cause des lampadaires. Quelle misère. Ici le ciel n’est pas pollué par les lumières, de ce côté-là tout va bien. C’est la mer qui est malade, la mer que les enfants du coin n’ont jamais aperçue. »
Bruno Ménétrier