Drôle de programme pour une Nuit de l’Alligator en ce mercredi soir pluvieux qui n’encourage certainement pas les gens à sortir de chez eux : un folkeux – et humoriste, comme on le découvrira – US (John Craigie), un groupe de rock psyché / shoegaze costaricain (Las Robertas) et un combo indie rock australien (The Belair Lip Bombs).
Nous, nous sommes venus ce soir avant tout pour Las Robertas, et pas seulement à cause de « l’exotisme » dans la mesure où c’est sans doute le premier groupe de Rock du Costa Rica que nous allons voir sur scène, mais parce que leur réputation internationale est en train de monter, dans un registre rock psyché / shoegaze inspiré par le travail du Brian Jonestown Massacre (enfin, celui de la grande époque !). Malheureusement, la Maroquinerie tarde à se remplir, ce qui est évidemment décevant vu la qualité de l’affiche…
A 19h50, guère plus d’un quart d’heure après l’ouverture des portes, c’est donc John Craigie qui attaque la soirée devant une fosse peu remplie, sa guitare acoustique en bandoulière. Il se présente comme « John Craigie, de Portland, Oregon », une présentation qu’il réitèrera plusieurs fois durant les 45 minutes de son set, de nouveaux spectateurs faisant leur apparition : c’est que John est, en plus d’un musicien de folk limite traditionnel (avec son harmonica et sa voix parfois nasillarde, il y a chez lui des intonations du jeune Bob Dylan !), un showman littéralement hilarant. D’ailleurs, si son set dure trois quarts d’heure, il y en a une bonne moitié consacrée à nous raconter des histoires (alors qu’il avait promis d’emblée de ne pas le faire !). Souvent ce genre de chose irrite chez les musiciens, mais Craigie fait partie des gens, comme un Chris Isaak ou un Elliott Murphy par exemple, qui ont des choses intéressantes à raconter, et le font avec un humour délicieux. On rira de bon cœur à ses histoires de concert en Scandinavie, quand on lui a demandé de faire descendre le public « timide » du balcon dans la fosse pour des raisons de sécurité, et qu’il n’a pas voulu le faire par… « timidité californienne ». Ou cet autre concert où il a joué devant une salle vide, à l’exception de deux jeunes femmes qui se sont avérées sourdes !
Sur la chanson Mallory qui raconte cette anecdote, John nous fait chanter avec lui le refrain du Young Americans de Bowie (les fameuses spectatrices ayant expliqué par écrit qu’elles étaient fans du Thin White Duke !), mais sinon son set est consacré à de courtes vignettes aux textes originaux (comme celle consacrée à un type prétendant avoir écrit Mr. Tambourine Man, volé par Dylan !), revêtant souvent une forme presque « folklorique ». Belle découvert en tout cas que cet artiste original et attachant (en tous cas pour celles ou ceux qui sont, comme nous, adeptes du folk US !).
21h05 : Las Robertas, ce sont donc deux jeunes femmes – qui chantent et jouent de la guitare et des claviers – et quatre garçons, qui sont passionnés de rock psyché et l’interprètent avec une impressionnante dextérité : soyons clairs, si les voix étaient un tantinet sous-mixées ce soir, en tous cas pour les premiers rangs, les trois guitares ont très vite fait parler la poudre, sur une section rythmique puissante. La batterie était trop en avant au début du set, mais ça a été vite corrigé, et le travail du bassiste nous a semblé essentiel dans la construction de morceaux hypnotiques, à la fois envoutants et agressifs quand il le fallait.
Nous voici donc partis dans un beau voyage psyché d’une heure, où chaque nouveau titre s’enchaîne naturellement avec le précédent, sans d’ailleurs que l’on ressente la nécessité de s’arrêter sur l’un plutôt que l’autre : on parle d’un maelstrom sonore sur lequel les voix de Mercedes et de Daniela sont posées comme des rêves fragiles, mais que traverse régulièrement les soli inspirés du lead guitariste.
Logiquement, une bonne partie de la setlist est consacrée aux titres du dernier album, Love is the Answer, avec une alternance de morceaux plus courts, plus « pop » même, comme Awakening, et de longs passages hypnotiques comme le superbe Third Door. On sait que la référence ultime de Mercedes est le Brian Jonestown Massacre, dont le titre Fingertips sera repris en avant-dernière position, dans une version assez proche de l’original. Le set d’une heure se clôt sur un Our Imperium puissant. Le public est ravi, surtout, bien entendu, la nombreuse communauté costaricaine venue acclamer leurs compatriotes.
S’il y avait deux petits reproches à formuler, ce serait que le son aurait pu être plus fort pour garantir une immersion encore plus complète dans le tourbillon sonore de la musique, et que Mercedes s’est montrée assez peu communicative – sauf justement dans ses interactions en espagnol avec ses compatriotes. On imagine que c’est avant tout un problème de langue…
22h05 : On change totalement de registre avec le quatuor indie rock, limite post-punk, de Melbourne, The Belair Lip Bombs : on est là dans un rock enlevé, nerveux, plutôt mélodique, à la fois au goût du jour et relativement intemporel. La frontwoman et chanteuse du groupe n’est autre que Maisie Everett, que l’on a connue comme bassiste de CLAMM jusqu’en 2022, si nous ne nous trompons pas… Et qui a donc renoncé au punk brutal pour une musique plus complexe et plus souriante… Sauf que souriante, Maisie ne l’est pas particulièrement, et que cette énergie punk que déploient CLAMM, on aimerait bien qu’il en reste un peu dans ce nouveau projet.
Les premiers titres impressionnent favorablement, mais on se rend vite compte que la musique stagne, n’explose pas comme elle devrait de temps en temps. Comme Maisie n’est pas non plus une grande chanteuse, on passe le temps en admirant le travail remarquable du bassiste sur son instrument, et il nous faudra attendre les deux derniers morceaux (Say My Name et Don’t Let Them Tell You It’s Fair) pour que quelque chose d’un peu plus excitant se passe.
Bref, une conclusion de soirée agréable, mais un peu décevante par rapport à ce qui avait précédé. Mais rien qui nous fasse regretter notre amour pour les Nuits de l’Alligator, qu’elles soient consacrées à la découverte des racines africaines-américaines du rock US, ou à l’exploration des tendances actuelles de la musique !
Texte et photos : Eric Debarnot