Jean-Marc Rochette nous relate dans un récit palpitant mêlant naturalisme, descriptions sublimes, amour avec une once d’aventure les quatre mois d’hibernation passés avec sa compagne dans un hameau isolé de tout dans le massif des Écrins. Malgré la solitude, la survie quotidienne, les rigueurs du climat, les risques d’avalanche : on n’a qu’une envie vivre la même chose que lui ! Commencez par le lire !
Lire Au cœur de l’hiver de Jean-Marc Rochette m’a ramené à l’émerveillement que j’eus lorsque je découvris pour la première fois L’usage du Monde de Nicolas Bouvier, au-delà de leur talent à sortir le lecteur de sa réalité et même s’ils sont différents dans leur propos, ils ont en commun le récit d’un hivernage (rappelons-nous des merveilleuses pages de l’auteur suisse lorsqu’il est bloqué par la neige à Tabriz pendant l’hiver 54) et leur magnifique iconographie : les dessins de Thierry Vernet illustrant le voyage entre les Balkans et l’Afghanistan et ceux de Jean-Marc Rochette figurant son environnement glacé dans le massif des Écrins.
Jean-Marc Rochette est d’abord connu pour être un illustrateur et auteur de bandes dessinées, on lui doit notamment les dessins de la série du Transperceneige (1984 – 1999 – 2000 – 2015), Edmond le cochon (avec Martin Veyron à partir de 1980) ainsi que plus récemment sa trilogie alpine (Ailefroide : altitude 3954, Le Loup, La Dernière Reine). A l’écoute du Book Club qui lui fut consacré le 1er janvier 2025 sur France Culture, on découvre ses gouts littéraires très sûrs mais aussi son parcours qui ne fut pas des plus aisés et même s’il commença sa carrière sous de bon auspices (Actuel, L’Echo des savanes). Il a fallu ensuite qu’il attende la sortie et le succès mondial en 2013 de Snowpiercer de Bong Joon-ho pour que son éditeur se rappelle à lui et lui remette le pied à l’étrier.
En mars 2020 alors que le premier confinement se met en place à Paris, l’auteur et sa compagne décide de fuir la Capitale et de s’installer dans une maison achetée en 2017 (ancien hôtel) dans un le hameau des Étages (dans le massif des Écrins) plus habité depuis 1962 car ses habitants « lassés par la dureté du climat et par l’isolement…/…l’ont déserté pour aller trouver du travail plus bas, au bourg. ».
Au cœur de l’hiver nous relate au travers de dix-neuf chapitres cette expérience d’hivernation, cela fait très envie et même s’il faut s’y préparer…car ce qui les attend c’est d’être « séparés par sept kilomètres de neige, de congères, de couloirs d’avalanche de la première route carrossable. » pendant plus de trois mois.
La première étape pour l’auteur qui est un montagnard de longue date : « J’attendais notre retour dans les montagnes comme on attendait sa fiancée », est de s’assurer que sa « vraie » amoureuse saurait se satisfaire de leur nouvel environnement…et la magie opère : « Le fait d’être entre nous nous repose. » et plus loin le très beau « J’ai bientôt soixante-quatre ans, une femme beaucoup plus jeune que moi est allongée à mes côtés, elle dort, confiante, au milieu de nulle part, hors du temps, dehors un froid intersidéral enserre le refuge de son étreinte. ». Au cœur de l’hiver est un très beau récit amoureux, une robinsonnade rythmée« par la préparation des repas, le travail, l’entretien du feu, les sorties à ski, les corvées de bois. ».
Comme pour toute traversée (et même si celle-ci est hivernale), il faut remplir les cales. Bref les choses doivent s’anticiper aux beaux jours. Il y a de très beaux passages sur la préparation estivale du jardin et ceci face aux regards dubitatifs des autochtones : « Faire un jardin est une chose qui vous fait le plus vite accepter dans un village. Un couple qui essaye de faire pousser des patates, c’est forcément rassurant. ». Les adeptes de lactofermentation, conserves, confitures, cueillette de champignons, myrtilles, baies et fleurs diverses se réjouiront de lire les passages qui sont consacrés à ces activités : Christine s’y emploie avec beaucoup d’énergie. Ces passages raviront les heureux propriétaires de maisons perdues dans la campagne qui voient leur conjoint(e) s’échiner dans cette quête sans fin (c’est mon cas…).
Une fois le couvercle hivernal refermée, nous suivons la vie du couple dans cet univers blanc égayé par des solides expéditions, les rencontres avec leurs voisins sauvages (loup, renard, chamois, mésanges), par les rares visites d’alpinistes endurcis, d’un voisin encore plus isolé.
Après avoir écrit qu’Au cœur de l’hiver était un récit de voyage, un récit d’amour, le récit d’une vie (l’auteur revient sur son passé), un récit naturaliste je peux ajouter que c’est aussi un récit d’aventures : vivre dans un tel environnement n’est pas une sinécure surtout lorsqu’on est à la merci des avalanches…et des conditions climatiques.
Comme le souligne Jean-Marc Rochette il est paradoxal de pouvoir vivre une telle expérience à seulement à quelques kilomètres à vol d’oiseau, de personnes harnachées dans des anoraks logotés se bousculant sur des pistes de ski…mais c’est une chance qu’il faut aussi savoir créer. Il existe encore des endroits en France (dans des coins moins extrême) où il est possible de vivre ainsi (et pas dans une telle autarcie), l’auteur rappelle d’ailleurs que ces ancêtres venaient du plateau du Mézenc…
Nous avons mentionné en référence Nicolas Bouvier mais nous aurions pu aussi bien citer Henry DavidThoreau, EliséeReclus et les auteurs du « naturalwriting » américain notamment JimHarrison dont on retrouve la sensualité dans la description d’un dîner amoureux avec un poulet aux morilles arrosé au Condrieu glacé.
A l’instar de L’usage du monde (lu et relu…) j’ai déjà hâte de relire Au cœur de l’hiver mais avant cela je vais lire La Dernière Reine dont les planches ont été réalisées pendant cette hibernation. Bref précipitez-vous et en plus c’est de saison !
Éric ATTIC