Nos 50 albums préférés des années 70 : 8. Serge Gainsbourg – Histoire de Melody Nelson (1971)

Pas forcément les « meilleurs » disques des années 70, mais ceux qui nous ont accompagnés, que nous avons aimés : aujourd’hui, le fameux Histoire de Melody Nelson de Serge Gainsbourg, l’album-concept et peut-être l’œuvre musicale française la plus influente du siècle dernier.

Melody Nelson MEA

Combien d’albums français peuvent se targuer d’être considérés comme chef d’œuvre et élément d’influence à travers le monde ? Ôtons la musique électronique qui ne pâtit pas de la barrière de la langue, désolé Jean-Michel Jarre et les Daft ! Même pas chanté mais parlé, l’exploit est d’autant plus remarquable. Toute la scène trip-hop des années 90 de Massive Attack à Portishead, mais aussi Beck, The Kills ou encore Alex Turner des Arctic Monkeys lorsqu’il joue les dandys, tous se revendiquent sans hésitation de Histoire de Melody Nelson.

Gainsbourg - Histoire de Melody NelsonUn statut d’objet culte pourtant acquis sur le tard, renfermant les paradoxes de son auteur. Si l’on demande de citer trois chansons de la discographie de Serge Gainsbourg, peu de chances que l’une d’entre elles soit issue de ce disque. Alors que si l’on associe l’artiste à l’une de ses pochettes, la probabilité que celle de Birkin, coupe à la garçonne en jean sous fond bleu, soit nommée le plus souvent est élevée. Disque d’or dix ans après sa sortie seulement, il est avec le recul aujourd’hui, ce que l’on appelle communément le magnum opus de son auteur, l’élément pivot de sa carrière. Le tournant d’une époque : la fin de l’insouciance des sixties et le début des expérimentations des seventies.

Contexte : après une première partie de carrière d’interprète au répertoire jazzy sans grand succès, puis de parolier en vogue des yéyés, Gainsbourg devient une figure majeure de la variété française au gré de ses aventures amoureuses de la fin des 60’s. Le sex-symbol Bardot tout d’abord, puis une petite actrice anglaise rencontrée au hasard d’un tournage, Jane Birkin. Médiatisation dans les journaux et cartons dans les charts où provoc et scandales font bon ménage, avec le sommet Je t’aime… moi non plus.

Toujours aussi inspiré par la gent féminine et plus particulièrement par sa british de petite amie, l’ami Sergio ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Il invente alors pour sa muse un personnage et un album-concept, Melody Nelson. Librement influencé par le livre Lolita de Nabokov, Gainsbourg conçoit une histoire condensée sur 27 minutes, le tout en spoken-word derrière une orchestration pensée en compagnie de Jean-Claude Vannier.

L’histoire ? Melody Nelson, jeune fille de 15 ans aux cheveux rouges, « adorable garçonne » percutée par la voiture du narrateur, incident dont va découler une romance. Alors évacuons tout de suite le malaise: l’album a plus de cinquante ans, les mœurs d’hier ne sont plus tout à fait les mêmes, et gardons seulement dans un coin de notre tête le goût pour la polémique de son auteur.

Voilà pour la forme mais le fond alors ? Petit bijou d’orfèvrerie, Histoire de Melody Nelson brille avant toute chose par sa production méticuleuse. Tout le sel de ce disque hypnotique réside dans le mariage parfait entre la voix chuchotante de Gainsbourg et l’instrumentalisation qui l’englobe et lui donne tant de relief. Dès les notes de basse de Melody, long morceau d’introduction plantant le décor, on plonge tout entier dans le récit cinégénique proposé ici. Ce sublime mélange entre guitares électriques et envolées de cordes va marquer les esprits et deviendra au fil des années une marque reconnaissable que l’on qualifiera de « gainsbourienne » à chaque fois qu’elle sera reprise par des générations de rockeurs indie.

Plus proche de la musique du Royaune-Uni que de celle de l’hexagone (qu’il n’oublie tout de même pas le temps d’une Valse de Melody), Histoire de Melody Nelson est une preuve supplémentaire des aspérités artistiques d’un Gainsbourg toujours prêt à partir à l’aventure. En s’acoquinant ici au rock psychédélique (L’Hotel Particulier) mais aussi à la funk (En Melody), S.G. s’ouvre de nouvelles portes vers un champ des possibles qu’il explorera dans ses disques suivants. En effet, ses successeurs, de Vu de l’extérieur jusqu’à L’homme à tête de chou, seront eux-aussi des disques-concepts à l’avant-gardisme musical poussé.

Œuvre charnière et pierre centrale de la période la plus riche dans la carrière d’un des plus grands artistes français du siècle dernier, Histoire de Melody Nelson est un sommet rarement atteint dans nos contrées depuis. Novateur, précurseur, visionnaire, la liste des superlatifs peut encore s’étendre à l’évocation de cet album sur lequel le temps n’a aucune emprise.

Alexandre De Freitas

Serge Gainsbourg – Histoire de Melody Nelson
Label : Philiips
Date de sortie : 24 mars 1971

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.