Si dans Sing Sing, ni le sujet ni son traitement ne sont follement originaux, voici un film, largement interprété par ceux qui ont vécu les faits racontés ici, qui rappelle que l’art sauve des existences…
La prison est un haut lieu de fiction. Pour le spectateur, c’est l’univers inquiétant et insolite de la privation de liberté – bien souvent illuminé par la promesse d’une évasion. Pour le détenu, c’est un recours à l’échappatoire, l’art permettant une autre forme d’accomplissement qui pourrait abolir quelques barreaux intérieurs. Le théâtre en prison a déjà été abordé, dans du feel good social français (Un triomphe) ou l’essai plus radical (César doit mourir des frères Taviani). Sing Sings’approche davantage de ce dernier, puisqu’il s’agit de donner les rôles de cette fiction, inspirée d’une histoire vraie, à de véritables ex-détenus passés par ce programme carcéral.
Un certain nombre d’acteurs jouent donc leur propre rôle, et on ne pourra qu’être impressionné par celui de Clarence Maclin, obligé de revenir en arrière dans son parcours pour réincarner le prisonnier brutal qu’il fut dans la première période de son incarcération, avant de s’épanouir au sein de la troupe théâtrale, non sans heurts.
Le film n’évite pas certains écueils du cinéma indépendant américain, notamment dans son abus de musique censée exacerber les émotions présentes à l’image. Mais il est évidemment d’une nécessité sociétale absolue, dans une période où l’autoritarisme et la discrimination sont devenus les credos d’une administration aveuglée par la haine. Le temps pris à investir ces milieux décatis, la modestie d’un projet assez bancal qu’est cette comédie fourre-tout, l’écriture collaborative de tous les rires possibles proposés par les comédiens amateurs, la fragilité même du dispositif, tout cela maintient une émotion qui nourrit une certaine forme d’espoir.
Si la trame elle-même n’a rien de révolutionnaire (projet, obstacles, découragement des détenus, voire sabotage, épanouissement progressif), c’est dans les interstices que le film capture les enjeux les plus intenses. Lorsqu’on apprend au nouveau venu que la colère est de loin le sentiment le plus facile à jouer, en l’enjoignant à chercher en lui d’autres émotions qu’il ne soupçonnait plus, ou durant cette terrible audition pour une possible remise en liberté durant laquelle les talents d’acteurs du détenu sont brandis comme une entrave à sa sincérité dans sa volonté de réinsertion.
La portée souvent documentaire de ces instants hors de la trame générale (la visite de l’ancien prisonnier, qui raconte les euphories et les paniques de la vie à l’extérieur) touche aussi par la maturité avec laquelle les détenus passés par le programme incarnent leur passé, avec une fierté dans le regard qui transcende largement celle des représentations reconstituées.
Un élan nouveau hors des murs, et sur les toiles du vaste monde pour louer les vertus résilientes de l’art.
Sergent Pepper