Que dire de cet artiste en dehors de toute représentation stylistique ? Eyes Of The Living Night nous éclaire sur notre vanité, et c’est avec une maturité rarissime que Jonathan Hultén arrive à nous atteindre.
Notre époque est obsédée par produire toujours plus, emportée dans un flot dont la vitesse de circulation frénétique n’est qu’une tentative d’optimisation professionnelle : une œuvre n’est qu’un produit saisonnier, avant de dépérir peu après sa parution. Ce qui nous distingue désormais, c’est cette volonté d’occuper tout l’espace et d’envahir chaque recoin, c’est cette omniprésence vorace qui dépersonnalise l’art. Quelle est donc cette nécessité de vouloir réaliser de nouvelles œuvres alors que tout semble déjà épuisé ?
A la confluence du Folk se joignent des expressions sensorielles souvent rattachées à la nature, sur les liens qui se désagrègent dès que la quiétude des lieux est souillée par un trop-plein de bruits. Quand vous entendez la voix de Jonathan Hulten, vous la reconnaissez immédiatement, il chante comme on grimpe au vent. Sur le plan personnel et musical, l’individualité et la singularité sont les voies qui font que ce ménestrel est l’un des auteurs-compositeurs les plus respectés aujourd’hui. Mieux encore, c’est tout un corpus qui est représenté dans un registre acoustique dont les accords sont le bruissement de la forêt, même si dans ce deuxième album, quelques guitares électriques se greffent, comme de petites lucioles qui émettent des étincelles. Les voix doublées, les harmonies vocales sont l’une des spécificités du travail d’orfèvre dans lequel Jonathan Hulten s’est lancé depuis son départ du groupe suédois Tribulation. Le charme opère dès l’entame de The Saga And The Storm. Les premiers indices nous avaient été révélés avec Afterlife dont le but était de s’adresser aux communs des mortels, tout en induisant une autre voie.
C’est à travers une cosmogonie naturaliste que des compositions comme Riverflame vous envoûtent, au point de succomber aux flammes d’un courant de lave, dont les scories se désagrègent, non pas pour vous brûler vif, mais, par delà le lien entre ciel et terre, pour que vous y trouviez une consolation… et encore le mot est faible par rapport aux intentions de son auteur ! Nous enveloppant dans un cercle éternel, The Dream Was The Cure prolonge notre existence avec ses voix nacrées, ses notes opalescentes.
Jonathan Hulten est un astre, il suffit de le voir sur scène, embrasser l’espace, dépassant les limites dans lesquelles nous nous enfermons. Starbather parvient à nous arracher une larme à chaque œil, ornière stellaire qui conduit à l’incommensurable, hors de nos conceptions humaines : il y a, au delà de ces compositions, une dimension mystique sans être caricaturale. Les effets vocaux peuvent parfois être perturbants, mais c’est minimiser le spectre dont Jonathan Hulten est capable, qu’il parcourt dans une approche totalement authentique. Le piano englobe ces variations, approfondit la voix et les guitares prennent forme sur un rythme qui constitue une belle conclusion. Il faut évoquer les intervalles instrumentaux qui sont un maillage essentiel de cette œuvre magistrale. Vast Tapestry rappelle Crayon Angels de Judee Sill.
La mélancolie est aussi belle qu’elle est omniprésente. Pour cela, nous ne pouvons que nous incliner devant tant de beauté et d’humilité.
Franck Irle