Premier « disque de Nashville » dans la discographie typiquement plus austère de Will Oldham, The Purple Bird est un album plus accueillant, presque optimiste, que son travail habituel. Est-ce un mal ? Non, parce que la BEAUTE reste évidente sur la grande majorité de ses douze chansons…
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Maintenant que Beyoncé a finalement remporté le Grammy Award qu’elle convoitait depuis toujours avec un ALBUM (présenté comme) COUNTRY, on peut espérer que la jeunesse s’intéressera à ce genre musical passionnant. Et laissera tomber les prétentions de la « pop star » (ha ha) mondiale pour plutôt écouter des gens de talent, qui jouent vraiment de la country music… C’est dans ce contexte favorable (ou non, il y en aura toujours pour assimiler cette musique traditionnelle aux divagations réactionnaires des troupes trumpistes !) que Will Oldham, alias Bonnie « Prince » Billy, nous revient avec un nouvel album, The Purple Bird, clairement trempé cette fois dans l’eau bénite de la country music…
Will Oldham, ce troubadour précieux – plutôt à la marge des courants musicaux dominants – mais aussi extrêmement prolifique, nous a habitués, depuis ses débuts dans les années 90, à une folk rugueuse, à des atmosphères désabusées et contemplatives, le tout pratiqué sous différents noms d’artiste, qu’il est souvent difficile d’expliquer. Son ample discographie est réellement singulière, en équilibre instable entre folk lo-fi et americana pur jus. Entre intimisme et authenticité. Avec une part croissante d’influences country dans sa musique, influences plus nettes que jamais sur ce nouvel album, The Purple Bird.
Ce qui distingue clairement ce nouvel album de ses prédécesseurs, et en particulier de son précédent, datant de 2023, le très beau Keeping Secrets Will Destroy You, c’est d’abord une atmosphère nettement moins sombre, moins dépressive / déprimante : ici, la lumière a le droit d’entrée. Mais, il y a également une différence notable du pont de vue formel : c’est que le disque a été enregistré à Nashville, sous la houlette d’un producteur, chose très inhabituelle chez Oldham (ce serait a priori seulement la seconde fois de sa carrière qu’il fait appel à un producteur !). C’est David R. « Fergie » Ferguson, qui fut ingénieur du son chez Johnny Cash (en particulier sur les fabuleux American Recordings), qui est crédité comme « co-auteur » de sept des douze chansons de l’album, et qui s’est chargé de parer largement l’album d’une instrumentation country, peuplée de pedal steel, de violons et d’harmonies vocales soignées. Les chansons sont également le résultat d’une collaboration avec d’autres musiciens, le transformant en « véritable disque de Nashville » ! Tout cela a communiqué à The Purple Bird une chaleur, presque un optimisme inhabituel, qui décevra peut-être les amoureux d’un Will Oldham « près de l’os », mais qui, avouons-le, fait du bien en cette époque anxiogène.
Oh, la mélancolie propre au travail d’Oldham n’a évidemment pas disparu, mais The Purple Bird affiche une volonté manifeste de célébrer la vie et la communauté. En fait la tracklist de l’album joue de manière assez systématique l’alternance entre des chansons introspectives – certainement celles qui accrocheront le plus le fan / puriste dès la première écoute, et des ballades plus… enlevées (bon, on n’est pas non plus dans la franche rigolade, on s’en doute bien…). Parmi les plus beaux morceaux, ceux où l’émotion culmine le plus facilement, on pointera l’élégiaque London May, où le chant de Oldham est renforcé par le piano et des voix féminines, le fervent Boise, Idaho qui amènera des larmes aux yeux des plus sensibles d’entre nous, ou encore le désolé et tendu Is My Living Vain, où les cordes viennent magnifiquement dramatiser les questions existentielles que pose le texte : « Is my playing in vain? / Is my praying in vain? / Is my labor in vain? / Is my singing, singing in vain? » (Est-ce que ma musique est vaine ? / Est-ce que ma prière est vaine ? / Est-ce que mon travail est vain ? / Est-ce que mon chant est vain ? / Non, non, bien sûr que non, tout n’est pas vain / Tout n’est pas vain, car sur le chemin se trouve le gain éternel)…
Le morceau le plus singulier de l’album est Guns Are for Cowards, aussi caustique que limpide dans sa critique des fantasmes de violence de l’Amérique profonde, dissimulée derrière une fausse jovialité folklorique. L’étonnant refrain fait grincer les dents : « Who would you shoot in the face? / Who would you shoot in the brain? / Who would you shoot in the back / And leave bleeding out in the rain? / Who would you shoot in the leg? / How many times in the neck? / Who would you shoot? And then how would you feel, exalted? / Or destroyed? » (Sur qui tirerais-tu en pleine figure ? / Sur qui tirerais-tu en pleine tête ? / Sur qui tirerais-tu dans le dos / Qui laisserais-tu agoniser sous la pluie ? / Sur qui tirerais-tu dans la jambe ? / Combien de fois lui tirerais-tu dans le cou ? / Sur qui tirerais-tu ? Et après, comment te sentirais-tu, exalté ? / Ou détruit ?). Et la conclusion est sans appel : « Well, guns are for cowards and cowards created by fear and withholding of love » (Eh bien, les armes sont pour les lâches et les lâches sont créés par la peur et le manque d’amour). ll est clair qu’en notre sombre époque, et sans se positionner comme un chanteur « politique, Bonnie « Prince » Billy a encore des choses à dire au monde…
The Purple Bird est probablement l’un des disques les aboutis, les plus « classiques » de son auteur. En tant que tel, répétons-le, il pourra décevoir les vieux fans adeptes d’une approche plus « pure », plus viscérale de la musique. Mais cette ode à la vie, à la poésie indéniable derrière le raffinement de l’interprétation et de la production, est magnifique.
Eric Debarnot