Dans les années d’après-guerre, un père et son fils apprennent à se connaître autour d’un projet fou : la construction d’une réplique du voilier à bord duquel Joshua Slocum réalisa le premier tour du monde en solitaire entre 1895 et 1898. Le récit d’une aventure tendre et poétique, servie par le graphisme sobre et sensible de Jean-François Laguionie, qui exalte l’amour familial et les rêves qui unissent.
Joshua Slocum fut le premier marin à accomplir un tour du monde à la voile en solitaire entre 1895 et 1898, à bord du Spray. « Slocum », c’est le surnom que l’on donne au père de François, un amoureux de la mer qui a entrepris de construire dans son jardin une réplique du Spray, un peu plus petite que l’original… Dans ce film d’animation, largement autobiographique, Jean-François Laguionie, 85 ans, en faisant revivre le petit garçon de 11 ans qu’il était au sortir de la guerre, rend hommage non seulement à son père mais aussi au couple émouvant qu’il formait avec sa mère, et à tous ces idéalistes dont les rêves mettent un jardin aux dimensions du monde.
Jean-Franois Laguionie, c’est une patte unique, avec son trait épuré au crayon de bois, ses aquarelles aux teintes pastel tout en transparence… Un graphisme délicat et suranné qui fait revivre ici, sur les bords de la Marne et dans les années cinquante, une France aujourd’hui disparue. Silhouettes fragiles, visages incertains, ses personnages témoignent du flou d’un souvenir menacé par la disparition. Et aussi de la nostalgie d’une époque révolue, encore marquée par la guerre mais ici empreinte de la douceur d’un foyer aimant, dans le cocon d’une modeste maison, ouverte pourtant sur le vaste monde par les livres qu’elle contient et le bateau qu’abrite son jardin. Ce bateau, Laguionie en fait le symbole de l’unité d’une famille reconstituée dans laquelle le beau-père a bien compris la nécessité de faire oeuvre commune : ce sera le chantier du Spray, auquel tous apporteront leur contribution, un chantier dont le père semble ne jamais souhaiter la fin.
Le film se focalise sur la relation qui s’approfondit entre cet homme taiseux, émouvant dans son bleu de travail, avec son béret vissé sur la tête, ses sourcils froncés et sa clope au bec, et François, ce petit garçon timide, à l’allure chétive, aux yeux noirs et curieux, le tout sous le regard d’une mère complice et bienveillante. Et on ne peut qu’être sensible à la tendresse, à malice aussi avec laquelle Jean-François Laguionie nous fait pénétrer dans ce qui fut son intimité, à la façon dont il nous montre, loin de toute mièvrerie, ce qui fait grandir un petit garçon.
Slocum et moi est le film le plus personnel de Laguionie. Il lui a demandé huit ans de travail et il dit qu’il est raisonnable de le considérer comme son dernier… À travers cette histoire, vue à hauteur de petit garçon puis d’adolescent, le réalisateur témoigne de la façon dont un père et son fils, sans beaucoup se parler, construisent leur relation à travers une passion commune et apprennent ensemble la valeur d’un travail patient, minutieux et obstiné.. Telle une parabole poétique, le film fait le portrait d’ une famille unie autour d’un bateau sur lequel elle ne naviguera jamais. Mais sans doute a-t-on compris que l’enjeu était ailleurs et que Slocum et moi, avec une infinie délicatesse, célébrait la force du rêve, non pas le rêve qui renferme sur soi, mais celui qui se partage.
Anne Randon