En Iran, où la police des mœurs traque chaque démonstration, même la plus ténue, de liberté, de plaisir chez les Iraniennes (et les Iraniens), c’est finalement le bonheur qui est interdit. Mon gâteau préféré nous rappelle l’importance des petits moments anodins qui constituent l’essence d’une vie, et c’est fort.
![Mon gâteau préféré](https://www.benzinemag.net/wp-content/uploads/2025/02/Mon-gateau-prefere.jpg)
Ce que toute dictature hait, qu’elle soit religieuse (comme dans les pays où l’islamisme est au pouvoir) ou non (comme dans les régimes d’extrême droite qui apparaissent chaque jour plus nombreux), l’idée même de la liberté doit être annihilée dans la société. Et avec elle, c’est finalement toute possibilité de bonheur, même le plus élémentaire, qui disparaît. Mon gâteau préféré raconte une brève rencontre – pas encore une histoire d’amour, non ! – entre un homme et une femme qui se croyaient condamnés à vivre (et à mourir…) seuls. Et qui, pour vivre quelques instants peuplés de plaisirs que nous trouverions presque anodins, comme être seuls ensemble dans un jardin, boire un verre de vin (ou plus..), danser joyeusement sur la musique qu’ils aiment, et peut-être déguster un gâteau qu’ils aiment, doivent enfreindre tout un tas de lois. Et finalement risquer de tout perdre.
Maryam Moghadam et Behtash Sanaeeha sont un couple à la ville comme au travail, et ont déjà réalisé ensemble plusieurs films, pas particulièrement repérés chez nous. Cette fois, leur Mon gâteau préféré a attiré l’attention sur eux, et pas seulement dans les festivals internationaux, mais aussi en Iran, où les Mollahs n’apprécient pas que l’on filme des femmes aux cheveux dévoilés, des couples qui cherchent le bonheur ou veulent vivre leur amour tout simplement : Maryam Moghadam et Behtash Sanaeeha ont désormais des ennuis (ils sont assignés à résidence, en attendant leur procès, tandis que leurs deux acteurs sont eux aussi inquiétés), alors que leur Mon gâteau préféré n’aurait rien pour nous d’un « pamphlet politique », si l’on excepte la scène, glaçante, et qui résonne fort avec l’actualité iranienne de ces dernières années, de la police des mœurs ramassant des jeunes femmes dans un parc pour les emmener au poste.
Mais l’on est prêt à parier que ce qui gêne encore plus le pouvoir religieux, c’est de voir à l’écran deux personnes de 70 ans qui ont envie de simplement de vivre des choses qui, (presque) partout ailleurs, constituent un « strict minimum » de l’existence. Et qui, pire encore, sont ouvertement nostalgiques d’une époque où l’on pouvait exister sans craindre la dénonciation de voisins « vertueux », aller prendre un café au bar d’un hôtel, se payer un repas ordinaire dans un restaurant sans avoir à payer avec des coupons attribués par l’Etat aux anciens combattants.
Mon gâteau préféré est un film simple comme son histoire – la rencontre un soir de Mahin et Faramarz, qui espèrent tous deux échapper à leur solitude. Les scènes qui s’enchaînent à un rythme parfait sont toutes extrêmement justes, pour décrire d’abord la nature de la solitude de chacun dans le monde « carcéral » imposé par le pouvoir religieux, puis pour regarder comment une relation humaine naît en dépit de tout. La conclusion est inattendue, mais logique. Et donc terrible. Mais ce sont quand même ces moments inespérés du bonheur tout simple de Mahin et Faramarz qui survivent dans notre cœur quand nous sortons de la salle.
Et bien sûr de la haine et du mépris pour ces dictateurs, ennemis de la vie.
Eric Debarnot