« Giovanni Falcone », de Roberto Saviano : l’homme derrière le héros de la lutte antimafia

Dans un récit foisonnant et richement documenté, l’écrivain italien Roberto Saviano retrace le parcours et le combat de Giovanni Falcone, ce juge antimafia assassiné en 1992.

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Photo F. Mantovani © Éditions Gallimard

L’histoire, on la connaît. Le 23 mai 1992, le juge Giovanni Falcone est assassiné sur l’autoroute A29 près de Capaci dans la province de Palerme, victime d’un attentat à l’explosif commandité par Cosa nostra. Son épouse Francesca Morvillo et trois hommes de son escorte perdent également la vie. Roberto Saviano propose un virtuose panorama de la vie d’un homme qui connaissait le prix à payer pour que la justice triomphe, peut-être.

L’ouverture est impressionnante : en 1943, dans la campagne de Corleone en Sicile, un père et ses fils ramènent une bombe américaine pour la désamorcer et revendre les explosifs qu’elle contient. Mais elle explose accidentellement, ne laissant qu’un orphelin de 13 ans, forcé à devenir chef de famille auréolé de son statut de miraculé : Salvatore Riina, dit Toto Riina, qui deviendra l’un des parrains les plus influents et redoutés de la mafia sicilienne.

Giovanni Falcone

A partir de là, de courts chapitres s’enchaînent pour retracer le fil des événements de 1982 à 1992. La création du pool antimafia sous l’impulsion du juge Rocco Chinnici au début des années 1980. Le procès Spatola (1982) où pour la première fois la « méthode Falcone » a été appliqué en retraçant les flux financiers criminels. Le marathon judiciaire du Maxi-procès de février 1986 jusqu’en décembre 1987 et la comparution de 475 mis en cause.

Comme en témoignent les sources commentées à la fin du livre, la masse documentaire travaillée par Roberto Saviano est impressionnante. Certes, la densité informationnelle demande un effort de digestion, mais au final, le récit n’est jamais fastidieux car la conduite narrative est tellement addictive, l’immersion dans la lutte antimafia tellement réussie, qu’on avale les 600 pages avec fluidité, happé par la maestria des scènes d’action et la vivacité des dialogues.

Mais Roberto Saviano ne s’est pas contenté d’écrire une simple chronique politico-judiciaire, toute brillante qu’elle soit. Il compose un drame antique : Giovanni Falcone, un homme déterminé à obtenir justice et à faire tomber la mafia, au péril de sa vie, assiégé par de sombres présages énoncés par le chœur de ses collègues assassinés avant lui – la liste est longue, le magistrat et député Cesare Terranova, des juges comme Rocco Chinnici ou encore le commissaire Boris Giuliano.

Un homme qui a des épreuves à surmonter, externes avec la Mafia qui veut l’abattre, mais aussi internes avec les intrigues au sein d’un palais de justice et plus largement de la classe politique italienne infiltrés par une mafia corruptrice aux moyens illimités. Un homme qui a aussi des soutiens, des amitiés et des amours, mais irrémédiablement seul.

Roberto Saviano trouve le ton juste et romanesque, pour nous parler de l’Homme Giovanni Falcone, de ses choix, de ses tourments, de sa fragilité, de sa vie passée à apprivoiser la peur pour ne pas se laisser influencer par elle. Le lecteur est à ses côtés, ressent les pages car il ne lit pas les exploits d’un héros devenu martyr et symbole, mais celle d’un homme, d’un Sisyphe intègre qui n’avance que par la force de l’idéal qui l’anime et d’un sens profond de l’Etat. Un héros qui aurait préféré ne pas en être un. Plus le récit avance, plus il se teinte de réflexions métaphysiques, plongeant le lecteur dans un recueillement quasi méditatif qui touche profondément.

Le récit est admirable, à la hauteur de l’homme exceptionnel qu’a été le juge Falcone.

Marie-Laure Kirzy

Giovanni Falcone
Roman de Roberto Saviano
Traduit de l’italien par Laura Brignon
Editeur : Gallimard (collection Du Monde entier)
608 pages – 25€
Parution le 6 février 2025

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