Quelques mois seulement après son magistral Nul ennemi comme un frère, Frédéric Paulin est de retour avec la suite de sa trilogie consacrée à la guerre du Liban. Dans Rares ceux qui échappèrent à la guerre, il s’intéresse notamment aux répercussions du conflit sur le sol français.
Nul ennemi comme un frère, le précédent roman de Frédéric Paulin, racontait à travers les destins croisés de plusieurs personnages l’effondrement du Liban dans la guerre civile. Ce premier volume s’était achevé en octobre 1983 avec l’attentat du Drakkar. Rares ceux qui échappèrent à la guerre commence donc sur les ruines de cet immeuble qui abritait la force française au Liban, et alors même que les corps sans vie sont extirpés de décombres encore fumants. Un peu comme si la déflagration qui clôturait le premier roman se répercutait en ouverture de celui-ci… On l’aura compris, mieux vaut donc avoir lu Nul ennemi comme un frère avant d’attaquer ce second volume dans lequel on va évidemment retrouver la même galerie de personnages, parmi lesquels le fascinant commandant Dixneuf, militaire expérimenté et agent de la DGSE qui continue ici, mais avec moins d’assurance peut-être, à évoluer sur le théâtre des opérations.
On retrouve aussi Michel Nada, ce Libanais venu en France pour y exercer une carrière politique. Philippe Kellerman, l’ancien diplomate accro aux benzodiazépines, fait désormais partie des proches conseillers du président Mitterrand. Quant au commissaire Caillaux, qui traque sans relâche les membres d’Action Directe, il découvre la paternité : sa femme Sandra, juge anti-terroriste, vient de donner naissance à des jumeaux. Au Liban, Abdul Rasool al-Amine, est toujours obsédé par la beauté de Zia… Ce qui ne l’empêche de continuer à mener son combat avec une violence redoublée.
Dès les premières pages de ce nouveau roman, on éprouve à nouveau les sensations provoquées par la lecture de Nul Ennemi comme un frère. Le récit est d’un incroyable densité. Les scènes s’enchaînent sans aucun chapitrage du récit. Autour des figures centrales du roman gravitent des dizaines de personnages, réels ou fictifs, et la narration exige de nous une attention maximum. Tout cela pourrait être étouffant, asphyxiant. Mais Frédéric Paulin est toujours aussi habile, le flot du roman nous emporte littéralement et, en dépit de son épaisseur, il est bien difficile de lâcher ce nouveau volume.
« Nul ennemi comme un frère », de Frédéric Paulin : Dans le fracas de l’histoire
Rares ceux qui échappèrent à la guerre, loin d’être une simple redite du précédent, s’impose donc comme un jalon supplémentaire dans cette œuvre décidément colossale. Cette fois, Paulin déplace assez largement son intrigue en France. Nul ennemi comme un frère opérait déjà un mouvement de balancier entre la guerre au Liban et ses répercussions sur le sol français. Ce mouvement s’accélère ici et Paulin consacre une bonne part de son roman à l’évocation du terrorisme qui terrifie cette France des années 80. Aux attentats d’Action Directe s’ajoutent ceux de plus en plus meurtriers des groupes islamistes, en particulier ceux du Hezbollah. Ainsi, si le roman commence sur les ruines du Drakkar, au Liban, il s’achève avec l’explosion de la bombe devant le magasin Tati de la rue de Rennes, en septembre 1986, nouvelle preuve d’une exportation du conflit sur le sol français.
Entre ceux deux tragédies, Frédéric Paulin, nous entraine dans les coulisses du pouvoir et du renseignement et le lecteur médusé assiste aux tractations, aux compromissions, mais aussi aux échecs et coups tordus de la diplomatie française. Alors que la guerre fait rage, que nos otages croupissent dans les geôles du Hezbollah, et que les bombes explosent en France, dans les couloirs des ministères et des sièges des partis, on continue à se préoccuper des élections…
Sans didactisme ni leçon de morale, Frédéric Paulin continue à creuser, comme il le fait depuis sa trilogie Benlazar, dans les tréfonds de notre histoire récente. Son obsession ? Chercher les origines de la violence et en démonter les mécanismes afin de nous offrir des clés de compréhension.
Cette œuvre est salutaire, on le comprend bien. Elle reste aussi éminemment romanesque et dans ce nouveau livre au rythme haletant, le plaisir de lecture est immense. Vivement la suite.
Grégory Seyer