Zep, ce n’est pas que Titeuf, un personnage peut-être trop populaire qu’il a laissé derrière lui ces dernières années pour passer à « autre chose ». Et surtout dessiner la nature. C’est là le sujet de ce beau livre qu’est Dessiner le monde, construit autour d’entretiens avec Romain Brethes.
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Dessiner le monde, qui reprend les conversations (c’est à dire un long interview réalisé sur plusieurs jours) de la super-star de la BD populaire, Zep, avec le journaliste et critique Romain Brethes, mais surtout des dizaines et des dizaines de pages de superbes illustrations réalisées par Zep – pour la plus grande partie dans un style « réaliste » -, est ce qu’on appelle un BEAU livre. Sa sortie chez les libraires en octobre en faisait un joli choix comme cadeau de Noël pour fan du 9ème Art, mais le chroniquer après les fêtes tient, du coup, de l’exercice risqué : car, au delà de l’indiscutable beauté de l’ouvrage, le contenu – l’interview, mais aussi cette autre histoire de Zep que racontent ses dessins, organisés largement en ordre chronologique – a-t-il la pertinence, la profondeur, la richesse nécessaire à en faire un livre que l’on aura envie, non pas seulement d’offrir, mais d’avoir chez soi pour le lire et le relire ?
Le projet est doublement ambitieux. Comme l’annonce Brethes dans son avant-propos, l’idée de départ est de s’inspirer d’entretiens mythiques : ceux de Numa Sadoul avec la crème de la crème de la BD classique franco-belge, ou ceux de Brownstein avec Franck Miller ou Will Eisner, par exemple. Cinéphile, on aurait envie de rajouter à la liste les plus célèbres entretiens de tous, ceux de Truffaut avec Hitchcock… Dans tous les cas, il s’agit de « fouiller le processus créatif » d’un artiste célèbre, pour aller au delà de ce que l’on sait ou croit savoir de lui.
Mais le facteur compliquant de cette « confrontation », c’est la fait que, si Zep est une star pour son Titeuf, là n’est pas le sujet de Dessiner le monde : non, tout tourne rapidement ici autour du passage de Zep à de la BD au dessin réaliste, via son habitude tôt développée de capturer des images du monde, et de la nature surtout (d’arbres avant tout, en fait). Ce qui est évidemment un processus intéressant, et ce d’autant que Zep a beaucoup de choses à dire sur comment le fait d’observer et de dessiner des arbres l’a profondément changé, a fait évoluer radicalement son rapport à la Vie… , mais ne doit pas être particulièrement « vendeur », si l’on imagine que nombre des fans de Zep auraient certainement préféré voire racontée l’histoire de la naissance et de l’évolution de leur écolier préféré !
Pour qui a un peu de « bouteille », comme nous, et se souvient de l’extraordinaire période de l’explosion de la BD « adulte » à la fin des années 70, le chapitre initial de la conversation entre Zep et Brethes se boit comme du petit lait. Et ce n’est pas une question de nostalgie, mais c’est tout simplement passionnant de confronter nos propres souvenirs de l’époque du triomphe de gens comme Gotlib, Goscinny, Pratt avec les souvenirs des débuts – longs, laborieux, difficiles, comme c’est le cas la plupart du temps – de Zep dans la BD. Tout simplement formidable.
Et puis, d’un coup, page 43 (sur 176), il y a donc cette décision – téméraire – de « zapper Titeuf » et de parler de la lente évolution du dessinateur vers une représentation réaliste du monde ! On veut bien, mais ajouter une autre quarantaine de pages sur Titeuf aurait rendu l’ouvrage plus exhaustif, en plus de satisfaire ces fameux « fans », non ? Nous, en tout cas, s’il est un sujet qui nous manque ici, et qui nous aurait rendus plus qu’heureux, c’est le rapport de Zep avec le Rock. Lui dont le « nom de plume » vient de Led Zeppelin, lui qui a réalisé deux excellents bouquins sur le Rock (Happy Rock et L’enfer des concerts), comment peut-on l’interviewer sans consacrer un chapitre à la musique !!! Honnêtement, M. Brethes, ne faire parler Zep que de sa rencontre avec Goldman, c’est limite pitoyable…
Bon, calmons notre (petite) rancœur, une grande partie des 176 pages de Dessiner le monde sont d’une beauté renversante. Et oui, ce sont des pages que l’on aura envie de regarder, et de re-regarder. Elles ont quelque chose, pour la plupart, de magique, comme si ce que Zep a appris à ressentir en dessinant des arbres passait en nous à travers ses dessins.
Et ça, ce n’est pas rien.
Eric Debarnot
Dessiner le monde
Illustrations et Interviews de Zep par Romain Brethes
Editeur : Rue de Sèvres
176 pages – 39€
Date de parution : 16 octobre 2024
Dessiner le monde – extrait :
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