Gyasi – Here Comes The Good Part : Plumage et ramage

Entre grandes références et hommages appuyés, entre nostalgie et purisme, entre blues rock et paillettes sexy, Gyasi joue plus que jamais un rôle de funambule, avec les risques que cela implique et la frustration qui peut en résulter.

Gyasi Photo Scott Willis
Photo : Scott Willis

Pour celles et ceux qui aiment le rock pailleté sur tranche, maquillé en bagnole d’emprunt et juché sur des talons d’échassier, Gyasi fait partie des créatures à surveiller. Le « paon à guitare de Virginie-Occidentale » (selon ses propres mots) cristallise autant l’espoir que l’inquiétude. L’espoir ? Celui d’un possible regain d’engouement pour le glitter rock à l’ère des réseaux sociaux. L’inquiétude ? Celle d’un fétichisme vintage avec repique de plans d’époque. Car le paradoxe glam rock est réel. D’une part, sa fantaisie originelle paraît toujours pertinente. De l’autre, il serait inexact de circonscrire le style à son éclosion durant la première moitié des seventies. La lignée est ténue mais elle existe après 1977, année de disparition de Marc Bolan, seul prophète du genre à lui être resté exclusivement fidèle. Le glam a perduré. Dans la new wave d’Adam Ant et Duran Duran, puis dans le stupre androgyne de Suede et Placebo. Chez Morrissey, produit par Mick Ronson sur Your Arsenal, notamment. Chez Spacehog, Marilyn Manson, Scott Weiland et Peter Murphy. Plus récemment encore, chez Art d’Ecco, HMLTD, Rose Tiger et Gyasi, donc, dont les deux premiers albums ne permettaient pas tout à fait de cerner son approche. Le blond sudiste donnait l’impression d’aimer jouer de la guitare et d’avoir potassé son Petit Ziggy Illustré, mais on pressentait qu’il lui faudrait s’actualiser pour convaincre son époque. En 2022, déjà, il incorporait des éléments roots façon Black Keys pour épaissir la tambouille de chansons issues de son premier album, Androgyne, sorti en 2019. En 2025, Here Comes The Good Part est un projet tout neuf, à l’exception de deux titres connus depuis 2023.

D’emblée, les questionnements sont concrétisés par la première chanson, l’un des singles ayant annoncé le projet en titillant notre curiosité. Sweet Thing évoque le riff de Rebel Rebel sur le tempo de The Jean Genie, tout en s’acquittant des deux moules en question. Les influences demeurent évidentes, avec ce mélange d’acoustique et d’électrique qui reconduit efficacement le cahier des charges de Ziggy Stardust, mais la composition reste prenante et les riffs charment sans trop forcer le trait. En seconde position, Lightning met le rock en retrait pour viser une grammaire plus pop, mais sa structure et sa progression d’accords sont peut-être trop unidimensionnelles pour résister à plusieurs écoutes. On note également que la brièveté de la composition peut laisser l’auditeur sur sa faim, un ressenti qui poindra souvent durant Here Comes The Good Part. Le blues-rock de Snake City sort l’harmonica, les gang vocals et le dobro pour nous rappeler que Gyasi est bel et bien originaire du sud américain, où le crotale rampe et l’aigle plane. C’est bien exécuté à défaut d’être follement original, même si l’on aurait préféré entendre la jam se prolonger et s’étoffer. Au lieu de cela, la musique prend fin au moment précis où la Les Paul donnait l’impression de s’être chauffée. On suppose (on espère ?) que l’improvisation sera réservée à la scène.

Le lick d’intro de She Says a des airs de Lonely Boy des Black Keys, mais ce n’est peut-être pas conscient. Si Gyasi est vocalement à son avantage sur ce terrain de boogie speedé, il est dommage que les changements d’accords restent totalement dans les clous de ce que les premières mesures de la chanson laissent entrevoir, sans fournir de réelle surprise aux oreilles. On pourrait appliquer un constat identique à Bang Bang (Runaway), moins véloce mais tout aussi balisé, quand bien même le phrasé du chanteur n’est nullement dénué de gouaille. La structure du morceau aurait méritée d’être enrichie par une conclusion plus intense. Avec son groove hard rock et ses vocalises haut perchées, Street Life semble justement braconner chez Led Zep plus que chez Marc Bolan. Ça n’est pas incompatible, mais le format court est encore plus contre-productif sur ce genre de sujet, auquel il est difficile de donner une ampleur épique en restant sous la barre des trois minutes. En outre, la section rythmique du groupe paraît trop docile pour transcender l’exercice, et reste plus proche de Silverhead que des New Yardbirds. Par chance, American Dream est l’occasion d’une bouffée de fantaisie, avec une belle suite d’accords acoustiques doublés au piano, sur lesquels plane une ligne de saxophone bowiesque sans que cela soit dérangeant. La rythmique est sophistiquée, l’exécution vocale est dramatique comme il faut et l’outro s’accorde même un petit climax en faisant intervenir des cordes subtilement dosées.

De l’autre côté du spectre stylistique, Cheap High est un bel exemple de ce que Gyasi peut accomplir en mobilisant tout ce qui alimente ses pulsions les plus rock. Deux minutes trente de riffs façon Width of a Circle, passées dans une fuzz lo-fi pas forcément éloignée d’un Ty Segall période Manipulator, avec une section rythmique qui encaisse bien la cadence et un placement vocal qui surplombe les amplis fumants. Un peu comme si la promesse esthétique de Colorful, la première chanson d’Androgyne, était réaffirmée plus vite, plus fort et plus méchamment. Autre single déjà connu, Baby Blue ressemble tellement à du T.Rex que l’écoute en est troublante, marquant le point où le mimétisme seventies de Gyasi pourra devenir un motif de rupture si vous recherchez une actualisation du propos. En entendant les riffs crunchy, les chœurs en falsetto et le dernier refrain façon Buick Mackane, on aurait quasiment l’impression que rien n’est arrivé depuis Tanx en 1973. La forme ne manque pas de fougue, mais demeure chevillée à une nostalgie sonique dont la conséquence dommageable est un ressenti curieusement rétrograde. On reconnaît aisément les ingrédients au menu, mais on aimerait apprécier leur sens au-delà de la simple référence… ce qui n’est pas toujours possible.

Sous couvert de riffs clichés tels que KISS les usinait en 1974, Star bifurque vers une mélodie mémorable et tire son épingle du jeu même si, là encore, la composition aurait mérité plus de longueur pour porter sa tension au point d’ébullition. C’est justement le cas avec 23, seule entrée de ce nouvel album à dépasser les quatre minutes, pour un résultat qui s’en ressent positivement. Les arrangements sont un alliage de piano (Garsonien, cela s’entend) et de rythmiques en clean qui ne dépareilleraient pas dans une scène pour Tarantino. De plus, le traitement de la guitare solo, perfusée de fuzz, permet de singulariser sa présence. Le final fait affleurer ce qui ressemble à un mellotron en arrière-plan, ajoutant une touche mélancolique aux dernières envolées vocales. Cette chanson aurait parfaitement pu tenir lieu de final, mais Grand Finale paraît justement pensé pour l’occasion. La grandeur est toutefois à modérer puisque l’on reste une fois de plus sous les trois minutes, mais on se rappellera que ça n’a pas nuit à Rock ‘n’ Roll Suicide, qui semble être l’inspiration du morceau en présence. On aurait même envie de dire qu’il est dangereux de pousser la similitude en terminant sur une gerbe de cordes modulées quand la référence était déjà très perceptible, avec un tempo en slow ternaire et une intro guitare/voix que la batterie rejoint en cours de route. La chanson n’est pas déplaisante mais l’intention laisse songeur.

En délimitant à ce point sa portion d’une corde sensible, Gyasi court le risque de muséifier un style musical dont les évolutions les plus fructueuses ont toujours impliqué une forme d’audace futuriste. C’est justement le problème du paon. Son plumage est resplendissant mais son envol tient rarement la distance.

Mattias Frances

Gyasi – Here Comes The Good Part
Label : Alive Naturalsound
Sortie : 7 février 2025

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