« Mémoire céleste », de Nona Fernández : elle se souvient…

Dans un geste autobiographique, cette autrice acclamée au Chili part sur les traces de 26 prisonniers politiques suppliciés dans le désert d’Atacama en 1973. Ce récit entrelaçant des réflexions sur l’astronomie, l’astrologie, les neurosciences, la mémoire et l’oubli, devrait faire œuvre auprès de la jeune génération rappelant que les idéologies racistes, sexistes et autoritaires menacent toujours autant la liberté et la démocratie.

Nona-Fernandez
© GONZALO-DONOSO

Ceux qui prévoient ou qui ont eu déjà la chance d’aller découvrir le désert d’Atacama au Chili, se devraient de lire Mémoire céleste, le très beau récit autofictionnel de Nona Fernández. Les lecteurs soucieux des dérives démocratiques actuelles notamment sur le continent nord et sud-américain ne devraient pas non plus s’en dispenser.  Les admirateurs de Patricio Guzman fameux cinéaste chilien, auteur des très beaux La cordillère des songes ou Le bouton de nacre se retrouveront également dans ce livre classé par El Pais parmi les 50 meilleurs livres de 2020. Enfin pour les autres, vous découvrirez un très beau texte érudit et poétique gardant pied dans notre réalité.

Fernandez Memoire celeste couvL’autrice acclamée dans son pays natal interroge sur la mémoire et l’oubli (au même titre que Guzman) via un récit où sont entrelacées réflexions sur sa propre vie familiale, l’astronomie, l’astrologie, les neurosciences et l’histoire politique du Chili.

Mémoire céleste met crûment en lumière la faculté de nos sociétés à occulter le passé. Pour avoir récemment séjourné au Chili et en Argentine, je fus assez sidéré d’entendre de la bouche d’une jeune chilienne, pas des plus extrémistes pourtant, que Pinochet avait aussi fait beaucoup pour les pauvres (alors qu’il avait mis en place une politique néo-libérale féroce)…Dans le même temps en Argentine, Milei et ses affidés s’emploient à minimiser le nombre de victimes de la récente dictature militaire (1976-1983) sans que cela offusque grand monde. Soyons humbles et n’oublions pas qu’en France, un ex-candidat à la présidentielle prétendait que Pétain avait protégé les juifs pendant l’occupation…Bref c’est bien le devoir de nous souvenir dont il est question dans Mémoire céleste.

Tout le talent de Nona Fernández et le charme de ce livre sont d’aborder cette problématique au travers de plusieurs prismes. Tout d’abord par le biais familial, celui de sa mère qui souffre de crises d’épilepsie provoquant des pertes de mémoire : « Le cerveau de ma mère est constellé d’étoiles portant le nom du doux souvenir qui les allume. Mais quel peut bien être ce souvenir ? De quel morceau de son miroir brisé peut-il être question ? ». Puis vers la fin du livre par une expérience vécue par son fils adolescent. Le 5 octobre 2018, date fêtant les 20 ans de la transition démocratique du Chili, lors d’une cérémonie organisée par son école, celui-ci subit des pressions et voit son discours caviardé par les autorités scolaires ce qui donne dans le livre le passage suivant avec le graphisme approprié : « Comment peut-il encore exister des partis politiques qui ont participé à la dictature et qui continuent de la soutenir d’une façon ou d’une autre ? Comment peut-il y avoir des parlementaires ou des leaders politiques qui ont travaillé avec Pinochet ? ». Là encore souvenons-nous en France de Maurice Papon qui fut préfet après-guerre.

Comme le nom du livre l’indique il est bien sûr question d’astronomie mais pas que et cela nous ramène au désert d’Atacama « Le passé vit dans ce paysage. Ses traces apparaissent comme les pistes d’un jeu irrésistible. Que s’est-il produit ici ? Comment ? Quand ? Pourquoi ? Les archéologues trouvent dans le climat du désert la possibilité d’entrer dans un monde infini de recherche, aussi vaste que l’espace…//…Le Chili possède quarante pour cent de l’observation astronomique du monde. ». L’autrice relate que des astronomes ont décidé de créer une constellation regroupant vingt-six étoiles baptisées par le nom des victimes froidement exécutées par les escadrons de la mort en 1973. Cela donne lieu à un très absurde et poignant moment de Mémoire céleste où l’on suit Violeta la femme d’un des suppliciés à la recherche d’un mémorial dans le désert et qui se termine par ce terrible « De Mario, on a retrouvé la mâchoire. Je n’en veux pas, a dit Violeta. Ils me l’ont pris en entier, qu’ils me le rendent en entier. ».

La métaphore astronomique est évidemment la plus prégnante dans le livre car que sont les étoiles sinon des lumières lointaines venues du passé, reste qu’au grand dam de certains astronomes l’autrice s’empare aussi de l’astrologie et de ses fameuses constellations pour filer  d’autres métaphores et associer les personnages du livre à leurs signes zodiacaux : ainsi le Cancer pour l’autrice, le Scorpion pour sa mère, le Poisson pour Mario un des vingt-six suppliciés, le Bélier pour son fils et les Gémeaux pour les sondes Voyager 1 & 2…En 1977 pour rappel, la Nasa a envoyé dans l’espace deux sondes spatiales contenant « deux disques d’or sur lesquels on s’est efforcé d’enregistrer le meilleur de l’humanité. ».

Aussi parcellaires et ténues que les informations envoyées dans l’espace (Johnny Be Good de Chuck Berry, des phrases construites dans la toute la gamme idiomatique du genre « Un grand bonjour à tous »), Mémoire céleste fait œuvre en collationnant des fragments d’histoire tragique de notre humanité qu’il ne faut pas oublier et qu’il faut sans doute partager avec la nouvelle génération pour les édifier et leur rappeler « combien les idéologies racistes, sexistes et autoritaires menacent toujours autant la liberté et la démocratie. ».

Bref à lire et à offrir à ceux qui nous suivent.

Éric ATTIC

Mémoire céleste
Récit de Nona Fernàndez
Traduit de l’espagnol (Chili) par Anne Plantagenet
Éditions Globe
176 pages – 20€
Date de parution : 6 février 2025

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