Que le cinéma « mainstream » évolue avec son temps est une bonne chose. Il est par contre décevant que l’expertise hollywoodienne en termes de comédies populaires farfelues, portées par d’excellents acteurs, ait désormais disparu. Vous êtes cordialement invités en fait la triste démonstration…
![Vous etes cordialement](https://www.benzinemag.net/wp-content/uploads/2025/02/Vous-etes-cordialement.jpg)
Deux mariages programmés par erreur le même week-end sur une petite île qui ne peut clairement pas les accueillir en même temps. Avec à la tête de chacune des cérémonies, une personne au caractère bien trempé, pour qui la réussite de son mariage est d’une importance capitale. D’un côté, le génial Will Ferrell, l’ex-roi de la loufoquerie hystérique. De l’autre, la diabolique Reese Witherspoon, aussi séduisante que follement douée pour réduire ses adversaires en cendres. Un bon pitch de comédie, deux bons comédiens : la promesse d’une « comédie classique » (pour ne pas dire « à l’ancienne ») devant laquelle on pense pouvoir passer un bon moment. Sur son canapé, car Vous êtes cordialement invités ne sort pas dans les salles, mais en ligne sur Prime…
Malheureusement, rien ne va se passer comme nous l’espérons, ni à l’écran, ni derrière, dans les cuisines du film. Le scénario de Nicholas Stoller (auteur complet de Vous êtes cordialement invités, et c’est sans doute là l’un des problèmes, Stoller n’ayant pas derrière lui une filmographie particulièrement remarquable !) ne pousse jamais la logique de la situation jusqu’à un point qui crée justement ce sentiment de chaos, cette certitude que tout peut réellement arriver, que derrière les conventions de la bonne société américaine se cachent des choses inavouables. Au contraire, il prend bien garde de montrer, régulièrement, entre deux accélérations du conflit, que tout le monde est, dans le fond, gentil et bienveillant. Même la belle idée du combat à mains nues contre un alligator ne débouche sur pas grand chose, au delà d’un effet de surprise vite dissipé. Quand à la conclusion en forme de romance classique entre les deux antagonistes finalement réconciliés – c’est un spoiler, mais qui ne l’a pas deviné au bout de quinze minutes de film ? -, il donne lieu à un happy end totalement insipide.
Au delà de son scénario manquant d’audace, il faudrait rappeler à Stoller que le succès d’une comédie dépend autant de l’alchimie entre les interprètes (et il y en a peu entre Witherspoon et Ferrell) que du rythme que la mise en scène crée à chaque scène, une chose que Stoller réalisateur ne sait pas faire.
Comme ce genre de film renvoie clairement à la comédie « classique », presque potentiellement à la screwball comedy de Hawks, il est difficile de ne pas regretter l’époque où un Billy Wilder par exemple s’emparait d’un tel sujet pour en faire une réflexion agitée sur l’humanité toute entière, ou encore celle où un Blake Edwards poussait justement tous les curseurs dans le rouge pour générer une délicieuse sensation de chaos total (c’était bien là l’objectif du film, non ?). Quant à la dynamique d’un mariage et ce qu’elle peut dire sur la société toute entière, rappelons à Stoller qu’il aurait pu s’inspirer, pour créer des personnages secondaires plus consistants, du A Wedding de Robert Altman !
Des références que nous ne nous amusons pas à lister pour notre seul plaisir, mais bien pour pointer combien, malheureusement, l’art de la comédie, soit l’un des plus nobles du cinéma, a régressé à Hollywood depuis le siècle dernier.
Eric Debarnot