Nouveau film de Takeshi Kitano, Broken Rage sort directement sur Amazon Prime. Offrant deux versions différentes d’un même récit, le film finit hélas par retrouver les travers de Takeshis‘ et Glory to the Filmmaker!.

Kitano, c’est d’abord un comique qui a intégré l’inconscient collectif nippon en tant que Coluche du Soleil Levant. L’Occident ignore en revanche tout cela lorsqu’il apparaît dans Furyo de Nagisa Oshima. A la fin des années 1980, il a déjà décroché quelques rôles au cinéma et à la télévision. Il est également peintre, présentateur de jeux télévisés et animateur de talk shows. Il tourne dans Violent Cop, polar réalisé au départ par Kinji Fukasaku. Un cinéaste qui, bien avant son film culte mondial Battle Royale, introduisit l’anti-héros dans le film de yakuzas dans les années 1960-1970.
Lassé par les absences liées aux multiples casquettes kitaniennes, Fukasaku jette l’éponge. Kitano va se proposer pour le remplacer. Commence un apprentissage du métier de cinéaste sur le tas. Comme par exemple garder la caméra fixe par crainte d’un élément imprévu surgissant dans le cadre. Son montage elliptique de la violence, rendant encore plus glaçant le surgissement de cette dernière, inspirera, entre autres, Tarantino et Park Chan-wook.
Les films où il est aussi acteur imposent son personnage de cinéma : un truand dont le visage souvent immobile fait que personne ne peut anticiper le moment où il va devenir violent. Chez Kitano, les truands jouent à des jeux de gamins avant de tuer en pilotage automatique.
Si la critique locale accueille avec enthousiasme son travail, il faudra la reconnaissance occidentale pour que son aura de comique ne fasse plus d’ombre à son talent de cinéaste à la maison. D’ailleurs, lorsque Jean-Pierre Dionnet (Cinéma de Quartier) veut distribuer Kitano en France, ses interlocuteurs s’étonnent parce que, pour eux, Kitano n’est pas d’abord un réalisateur. Sonatine est montré à Cannes dans la section Un Certain Regard, et à partir de là, Kitano devient un habitué des grands festivals. Il décroche le Lion d’or avec son chef d’œuvre Hana Bi.
La suite de sa carrière va être marquée par la recherche d’un second souffle. Tentatives intéressantes mais n’égalant pas les réussites des années 1990 : Kitano assagi (L’Eté de Kikujiro), Kitano sur sol US (Aniki mon frère), mélodrame choral (Dolls), relecture d’un mythe du film de sabre (Zatoichi). Il a ensuite consterné beaucoup de ses fans avec les suicides artistiques assumés de Takeshis’ et Glory to the Filmmaker!. Avant le relatif redressement de Achille et la Tortue…
… Et un Outrage, jeu de massacre yakuza qui a divisé, mais où l’on retrouvait sa cinégénie de la violence. La qualité de la franchise baissera progressivement avec les deux épisodes suivants. Ryuzo 7, comédie en mode papy vengeurs, ne redressait pas la barre. Présenté à Cannes, Kubi n’est pas sorti en France à ce jour : une tentative de film historique voulant mêler le rapport farceur à la violence du Kitano de ces dernières années et l’hommage à Akira Kurosawa ; un mélange d’irrévérence et de tribut payé à l’Empereur du cinéma japonais fonctionnant surtout dans les scènes de bataille.
Et voilà donc le retour de Kitano avec un Broken Rage montré à Venise et sortant directement (signe pas très rassurant) sur Prime. Un film dont le concept pourrait être rapproché de Resnais et Johnnie To. Le diptyque Smoking/No Smoking du premier imaginait ainsi comment le fait de ne pas fumer pouvait changer le cours d’un récit. Quelques années plus tard, Too many ways to be number one, production Johnnie To, montrait comment un petit détail pouvait donner des versions différentes de la destinée d’un truand.
Broken Rage offre deux versions d’une même histoire. Dans la première, Souris (Takeshi Kitano) est un vieux tueur à gages qui finit par se faire coincer par la police. Il accepte alors d’être infiltré. Une première moitié dans laquelle Souris montre un talent de pistolero mettant minable le Eastwood de la Trilogie des Dollars. Précédée d’un intertitre Spin Off – pour railler Marvel ?-, la seconde moitié offre en premier lieu des variations basées sur un comique de répétition et sur les ratés de Souris flingue en main.
Des variations offrant une sensation comparable à celle de se retrouver face à un interlocuteur enchaînant les plaisanteries délirantes sans jamais rire avec lui.
L’exécution formelle évoque de son côté les cinéastes qui singeaient le minimalisme kitanien à la croisée du XXIème siècle.
On rit parfois pendant Broken Rage, mais le film évoque un peu trop les travers de la seconde partie de carrière de Kitano pour convaincre. Sa courte durée donne cependant envie de faire preuve de mansuétude vis-à-vis d’un cinéaste autrefois essentiel.
Ordell Robbie