S’il y a une bonne chose apportée par le triomphe des plateformes de streaming, c’est bien que « le cinéma de genre » a désormais acquis une vraie visibilité. Et quand Apple TV+, la plateforme la plus qualitative, s’y met avec The Gorge, nos espoirs sont au plus haut. Mais rien n’est jamais simple !
![The Gorge](https://www.benzinemag.net/wp-content/uploads/2025/02/The-Gorge.jpg)
Même si on ne le crie pas trop sur les toits, le fan de « cinéma de genre » (c’est à dire un type de cinéma qui réussit à être à la fois méprisé par le grand public et par les « vrais » cinéphiles, un comble !) se réjouit de l’irruption et du triomphe dans le paysage audiovisuel des plateformes de streaming : il est enfin possible d’avoir sa dose au moins hebdomadaire de films de SF fauchés, de pellicules d’horreur glauque, de long-métrages d’action totalement excessive, etc. etc. Le problème est que, contrairement à ce qui s’est régulièrement passé « dans les salles », on peine à trouver d’excellents films au milieu de tout ce qu’on nous déverse dans nos salons chaque semaine, et on a du mal à voir émerger des réalisateurs du calibre de John Carpenter, Tobe Hooper, Dario Argento, George Romero, etc. D’un côté, le « cinéma de genre » a tendance à aller vers le haut, du point de vue budgets, acteurs bankables, effets spéciaux sophistiqués, ce qui le prive largement de son originalité, de sa légèreté ; d’un autre, alors que l’un des grands intérêts de ces films fauchés mais créatifs était souvent leur pertinence politique et sociétale, les plateformes prennent sans doute soin d’éviter toute polémique dans leurs films (on peut d’ailleurs parier qu’après des films boostés au « wokisme » le plus excessif, on voie malheureusement le retour des idées réactionnaires les plus révoltantes…).
Dans ce contexte, que Apple TV+, la meilleure plateforme en termes de qualité des œuvres (enfin, celles produites par la maison Apple…), mette en ligne pour la Saint Valentin un pur film de genre comme The Gorge est forcément excitant. Et ce d’autant que l’idée – commercialement motivée mais joliment absurde, en fait – de mélanger film romantique « pour elle » et film d’action « pour lui » nous renverrait aux concepts du cinéma coréen, toujours prêt à déstabiliser son spectateur en présentant du cinéma inclassable.
Disons-le tout de suite, The Gorge, réalisé par un Scott Derrickson peu remarqué à date (Docteur Strange, Black Phone…) sur un scénario de Zach Dean, qui n’a pas encore fait d’étincelles (The Tomorrow War), ne répond pas à toutes nos attentes… mais reste un divertissement bien « barré », et donc assez réjouissant pour tous ceux qui aiment leur cinéma imprévisible, et (relativement) audacieux.
Le point de départ de l’histoire concoctée par Dean est séduisant : voici deux tireurs d’élite, lui, américain, et elle, lithuanienne mais recrutée par Moscou, installés de chaque côté d’une profonde gorge baignant dans le brouillard et située dans un pays inconnu. Ils sont chargés d’empêcher les horreurs qui sont sensées y vivre d’en sortir et de déferler sur le monde. Nos deux professionnels vont tomber amoureux l’un de l’autre, à force de s’observer à travers leurs jumelles… jusqu’à ce qu’il soit nécessaire qu’ils s’allient pour faire face à une crise bien juteuse !
L’excellente idée des Studios Apple a été de confier les rôles principaux à deux bons acteurs, Anya Taylor-Joy et Miles Teller, entre lesquels il existe également une jolie alchimie : ils sont crédibles tant comme « follement amoureux » que comme « professionnels émérites de la guerre ». A partir de là, il est à peu près impossible que The Gorge soit mauvais, en dépit d’un scénario qui tombe régulièrement dans le défaut habituel des invraisemblances faciles et des coïncidences bien arrangeantes. A noter que la renommée – au moins auprès des cinéphiles – des deux acteurs donne lieu à des clins d’œil malins au cours de la « scène de Noël » : on les voit, à distance, jouer aux échecs (clairement une référence à The Queen’s Gambit pour Taylor-Joy) puis de la batterie (… pour Teller dans Whiplash) !
La partie « baston » (et gore) qui occupe la seconde partie de The Gorge est certes délirante, mais adopte un style « jeu vidéo » assez réjouissant, qui donnera certainement aux adeptes de ce sport l’envie d’avoir entre les mains une manette pour participer directement à l’action. The Gorge se clôt sur (encore) un autre « genre », celui, plus mainstream, du thriller d’espionnage / de Science-Fiction, qui surprend moins, avec qui plus est une Sigourney Weaver cachetonnant sans grande conviction (Bon, on pourra apprécier le fait que, pour une fois « du côté du manche », elle joue ici un rôle similaire à celui de ses ennemis – distants – dans Alien…).
La conclusion de cette intéressante affaire est que, si votre Saint Valentin n’a pas pu malheureusement être illuminée par un chef d’œuvre, on passe de bons moments devant The Gorge, film original, porté par quelques belles scènes, aussi bien dans le domaine « romantique » que celui du « film d’action ». Un modèle à suivre, certainement, avec un scénario mieux travaillé, et un réalisateur plus talentueux.
Eric Debarnot