« Aux soirs de grande ardeur » : une quête d’amour et de liberté à l’aube des temps

Après son étonnant diptyque Mégafauna, Nicolas Puzenat nous revient avec un nouveau récit hors du temps, avec en toile de fond un incendie destructeur : une romance entre une servante et son maître, doublée d’une ode à la liberté.

Aux soirs de grande ardeur – Nicolas Puzenat
© 2025 Puzenat / Le Lombard

Dans la douce cité néolithique de Miril, Manakor vaque à ses occupations. Secrètement amoureuse de son maître, le cuisinier Kaal, elle aimerait bien lui ouvrir son cœur. Mais la jeune servante doute que celui-ci puisse s’intéresser à elle, malgré les philtres d’amour concoctées sur les conseils de sa grand-mère, devenue sa « chuchoteuse » après sa mort… Mais au loin, la forêt est en feu et menace la paisible existence des habitants de la cité. Forcément, c’est sans doute un coup de ces maudits nomades, qui vivent comme des sauvages…

Aux soirs de grande ardeur – Nicolas PuzenatPassionné d’Histoire et d’archéologie, Nicolas Puzenat prend soin de le préciser au début du livre, Aux soirs de grande ardeur est avant tout un récit de fiction qui ne recherche pas l’exactitude historique, et on lui sait gré de cette honnêteté ! Pour cela, il s’est tout de même inspiré des travaux des spécialistes pour raconter cette histoire qui se déroule pendant la révolution néolithique, où l’humanité découvrait l’agriculture et l’élevage, abandonnait le nomadisme pour se sédentariser.

Il sera difficile de ne pas faire le rapprochement avec son diptyque Mégafauna, qui était davantage une uchronie médiévale fantaisiste. Comme pour son prédécesseur, Aux soirs de grande ardeur permet à son auteur d’y développer plusieurs thématiques sur la manière dont fonctionne une société humaine, notamment avec sa hiérarchie, ses croyances et ses mythes. De ce point de vue, c’est assez crédible, et l’ouvrage souligne amèrement que le pouvoir a toujours été voué à la corruption et d’abord dans l’intérêt de ceux qui le détiennent avant celui de leurs citoyens.

Mais le récit est aussi une histoire d’amour mettant en scène Manakor, cette jeune servante un peu potelée qui fantasme secrètement sur son maître Kaal, qui, quant à lui, semble totalement indifférent à ses suppliques silencieuses. Sous les conseils toxiques de sa chuchoteuse, qui n’est autre que sa grand-mère, Manakor va devoir faire la part des choses en faisant davantage confiance à sa propre intuition. Car c’est ici l’élément fantastique du récit, une croyance selon laquelle les humains ont tous leur chuchoteur dédié, sorte de fantôme d’un ancêtre ou d’un parent représentant cette petite voix intérieure qui nous est tant familière, mais qui dans le récit apparaît comme négative et illustre bien la façon dont peuvent naître les superstitions. Quant à la « potentielle » histoire d’amour, d’abord à sens unique, elle va évoluer vers une sorte de triangle amoureux, avec l’irruption de la jeune nomade Ferline, amante secrète de Kaal, dès lors que l’incendie de forêt obligera les habitants à quitter la cité.

Et c’est un autre élément qui servira de toile de fond à l’histoire : un énorme incendie qui ravage la forêt environnante et sera le catalyseur d’une quête initiatique pour Kaal et sa servante. On serait bien tenté de faire un rapprochement avec les « mégafeux » qui se manifestent de plus en plus fréquemment dans notre monde actuel — notamment les plus récents qui ont dévasté des quartiers entiers de Los Angeles — en les voyant comme le symptôme d’un bouleversement de la société. Dans le livre, c’est le nomadisme qui se confronte à la sédentarisation (on peut juste supposer que l’incendie est un acte malveillant de la part de ceux qui désapprouvent l’arrivée du progrès puisque cela n’est pas dit explicitement) pour déboucher sur l’ère néolithique. Dans notre réalité, les effets du changement climatique menaçant de plus en plus le confort de nos sociétés, pour déboucher sur… l’avenir reste trop indécis pour le dire. Mais ne nous égarons pas…

Le dessin de Nicolas Puzenat reste toujours aussi fouillé, avec force détails sur l’architecture, les outils, les armes et les parures en usage il y 10 000 ans. On apprécie beaucoup son côté « artisanal », antithèse d’un certain académisme un peu lisse que l’on vérifie souvent dans la bande dessinée, qui amène beaucoup de fraîcheur à la narration. On relèvera également l’effort sur la mise en couleur, en particulier dans la représentation des paysages forestiers, indifférents et pourtant fragiles face à la menace du feu, l’occasion pour l’auteur de confronter habilement les tonalités vertes et orange, et d’exprimer par la couleur la violence d’un incendie dévastateur.

Si la narration est peut-être un peu moins prenante que Mégafauna, elle reste plutôt bien menée, sous la plume du conteur qu’est Nicolas Puzenat. La conclusion arrive comme une ode à la liberté, après un parcours semé d’embuches et non des moindres, où l’on découvrira une Manakor littéralement transfigurée, résultat d’une quête initiatique accomplie.

Laurent Proudhon

Aux soirs de grande ardeur
Scénario & dessin : Nicolas Puzenat
Editeur : Le Lombard
112 pages – 20,45 €
Parution : 10 janvier 2024

Aux soirs de grande ardeur — Extrait :

Aux soirs de grande ardeur – Nicolas Puzenat
© 2025 Puzenat / Le Lombard