En période d’overdose de biopics musicaux, il est possible de se replonger dans Walk Hard: The Dewey Cox Story. Une production Apatow, réalisée par Jake Kasdan, compilant tous les clichés sur le Rock et tous les passages obligés des biopics musicaux pour mieux les ridiculiser.
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Aux Etats-Unis encore plus qu’ailleurs, un film ne se monte financièrement que si ses financeurs croient un minimum qu’il y aura retour sur investissement. C’est sans doute pour cette raison que le biopic musical n’est pas près de disparaître. Un biopic sur Michael Jackson est en cours de production. Sam Mendes veut réaliser un biopic sur chaque membre des Beatles. Un film sur les sessions d’enregistrement de Nebraska avec Jeremy Allen White dans le rôle du Boss se prépare aussi. Un biopic sur Madonna serait peut-être dans les tuyaux si la volonté de l’intéressée de le réaliser ne bloquait pas les choses. Des projets dont je n’étais pas en priorité demandeur. Oui mais… Faire un biopic sur un/une interprète populaire est considéré comme un « safe bet », car garantissant la venue en salles des fans.
Reste que l’artiste sujet du film risque de voir son personnage nettoyé pour ne pas froisser ces fans. On attend de ce point de vue avec curiosité la manière dont le film sur Bambi traitera l’affaire Neverland. S’assurer que les fans représenteront un public qui paiera sa place ne favorise pas non plus la possibilité qu’un cinéaste propose sa vision personnelle d’un personnage. Bien que ratés, Last Days (sur les derniers jours de Cobain) et I’m not there (Dylan le caméléon joué par plusieurs acteurs/actrices) tentaient cela. Mais il s’agissait de cinéastes indépendants (Gus Van Sant, Haynes).
Haynes est sans doute celui qui le plus creusé le sillon du biopic musical « art et essai », de façon globalement convaincante. Son Velvet Goldmine racontait la période Ziggy Stardust de Bowie au travers d’un personnage inspiré de ce dernier. Avec une narration reprenant celle de Citizen Kane, biopic non avoué du magnat de la presse Randolph Hearst. Son court Superstar: The Karen Carpenter Story racontait la lutte de la chanteuse contre l’anorexie en utilisant des poupées Barbie et Ken. Faisant dialoguer une chanteuse et une poupée toutes deux étendards de l’Amérique du début des années 1970 qui n’aime pas le mouvement hippie et vote Nixon.
Le principe du biopic musical à concept s’est aussi retrouvé dans la production mainstream Better Man, avec un flop à la clé. En dépit de son échec, l’intention se comprend : le public pouvait risquer de se lasser du biopic en mode version miniature de deux heures de la vie d’un/une artiste personnifié par Bohemian Rhapsody. Le choix de se réduire à une seule période fait justement partie des raisons d’appréciation par le public d’Un Parfait Inconnu, focalisé sur le virage électrique de Dylan. Un principe qui sera repris pour le Boss-biopic à venir. Les non-connaisseurs de Dylan ont également salué le fait de ne pas chercher à le rendre sympathique alors que c’est un peu le minimum syndical aux yeux d’un passionné.
Le genre a enfin un problème qui ne concerne pas que le biopic musical : la confrontation entre l’interprète et son modèle (ou les images documentaires de ce dernier s’il est décédé). Chalamet a beaucoup travaillé à imiter la voix et le chant de Dylan. Mais il ne rend pas le côté menaçant de la voix du vrai Dylan de la trilogie électrique (là où Cate Blanchett retrouvait une partie de ce Dylan-là chez Haynes). Bonne chance d’ailleurs à Jeremy Allen White pour retrouver le magnétisme animal de Springsteen.
Face à tout cela, se replonger dans Walk Hard: The Dewey Cox Story a des airs de bain purificateur. Signé de Jake Kasdan (fils de Lawrence), le film est une production Apatow sortie en DTV en France, à une époque où bien des réalisations / productions Apatow bénéficiaient d’une exploitation hexagonale en salles. Echec commercial aux Etats-Unis, le film est sorti dans peu de pays, sans doute parce qu’il demande un peu de connaissance de l’histoire du Rock pour être totalement apprécié. Un succès aurait-il liquidé le genre du biopic musical ? Pas sûr, au vu des réalités économiques mentionnées.
Kasdan, aidé d’Apatow au scénario, raconte le destin de la Rock star fictive Dewey Cox (John C. Reilly), connue pour son tube Walk Hard. Le scénario contient tous les clichés de la mythologie Rock, tous les passages obligés du biopic musical et quelques-uns des grands moments de l’histoire de la musique populaire anglo-saxonne de la deuxième moitié du 20ème siècle. Et passe tout cela à travers le filtre du délire nonsensique et de la parodie. Kasdan conserve un élément de base de la parodie : non seulement citer ses modèles mais pasticher leur esthétique. Le moment où Cox vire protest singer est filmé à la manière du documentaire sur Dylan Don’t look back. Son rêve sous LSD en compagnie des Fab Four est un dessin animé à la Yellow Submarine.
Cox commence par être jaloux en mode Salieri de son frère pianiste surdoué. Et arrive le traumatisme fondateur – toute Rock star en a un selon la légende – : il découpe accidentellement en deux son frère lors d’un duel à la machette. Moment permettant de poser une inimitié entre Cox et son père qui est aussi un cliché mille fois lu dans l’histoire des success stories de la musique populaire. On rigole de plus de la première « révélation » du talent de Cox pour la guitare, instrument dont il ne savait pas jouer une seconde auparavant.
Puis c’est le concert en mode arrivée du King avec spectatrices se déshabillant immédiatement au son de la musique de Cox, spectateur parlant de musique du Diable… et baston. Outre Buddy Holly, Cox croise d’ailleurs Elvis (hilarant Jack White) avant de lui succéder sur scène. Bien sûr, au vu du titre, le film passe par l’étape Johnny Cash. Cox croise en tournée Darlene Madison (Jenna Fischer), sa June Carter Cash qui l’embrasse et le gifle juste après (!). Il délaissera bien sûr sa femme pour elle. Drogue, débauche, prison et cure de désintoxication vont pointer régulièrement le bout de leur nez.
Faisant le périple indien des Beatles en leur compagnie, Cox va assister aux tensions entre John (Paul Rudd) et Paul (Jack Black). Il sombre ensuite dans un délire mégalomane proche du Brian Wilson des sessions d’enregistrement de Smile. Puis tel Cash, il présente son show télévisé… mais ce sont les seventies, et il reprend Starman en version disco. Avant l’étape rédemption du père absent face à ses enfants et la tentative (en mode humour noir) de réconciliation. Pour finir sur le sampling hip hop faisant redécouvrir Cox au jeune public, et la cérémonie pompeuse façon Rock and Roll Hall of Fame.
Outre White, Eddie Vedder, les Temptations, Lyle Lovett, Jewel, Jackson Browne, Don Was et Ghostface Killah sont présents, dans leur propre rôle. Les morceaux (très souvent interprétés par Reilly) sont majoritairement composés par Dan Bern and Mike Viola. Ils pastichent (de façon très écoutable) Roy Orbison, les Everly Brothers, le King, le Punk, Cash bien sûr (Walk the line pour le morceau-titre, les cuivres mariachis Ring of fire de Guilty as charged), le Dylan folk, le Disco, le Yacht Rock, le versant sous la ceinture du Hip Hop des années 1990… Van Dyke Parks coécrit en outre le pastiche Beach Boys Black Sheep.
Walk Hard: The Dewey Cox Story, c’est un Que sais-je ? sous acides de l’histoire du Rock, des clichés de ce courant musical et du biopic musical.
Ordell Robbie