Dans ce 3e tome de la saga Les années glorieuses, Pierre Lemaître porte une nouvelle fois avec talent l’héritage des grands feuilletonistes du 19e siècle, jouant avec son lecteur comme avec ses personnages. Brillant !
Il y a des pédigrées parfois difficiles à assumer. Prenez un Monsieur Maquereau qui ne serait pas souteneur ou une Madame Lacomère qui n’aurait pas le goût des potins, difficile de porter certains états civils sur mesure. Ce n’est pas le cas de Pierre Lemaître, génial auteur populaire de la saga des Pelletier qui balaie le 20e siècle sans oublier de passer sous le tapis pour « Dysonner » les moutons de l’histoire. Une technique de ménage opposée à la mienne, très masculine, qui n’est pas donnée à tout le monde, qui nécessite une certaine désinvolture et qui consiste à surtout contourner tous les meubles sans les toucher.
Pour rappeler au lecteur la distribution de sa tétralogie, rien de mieux que d’organiser une petite révision avec une réunion de famille inaugurale. Idée prévenante et lumineuse mais j’ai presque envie de dire inutile car les personnages sont inoubliables. Désolé pour les miens, mais j’Alzheimeriserai plus facilement l’existence de certains cousins que la petite Colette et son enfance difficile (constante dans tous les romans de cet auteur), ou l’atroce Geneviève, Hashtag je suis Geneviève, dont chaque apparition transforme la méchanceté en art et son Bouboule de Mari, Jean, loin d’être sans peur ou sans reproches. Présentations de réveillons pour les habitués mais quelles agréables retrouvailles ! On s’y invite en simple spectateur. Tant pis pour les verrines de chez Picard.
Ce tome évoque l’atome, pointe l’année 1959, de la guerre froide qui s’échauffe aux mythes des 30 glorieuses, comme le souligne le titre avec une bonne dose d’ironie. On attend les 30 crâneuses pour achever la saga et un autre se chargera des 20 piteuses.
François, le journaliste intègre de la famille, mais dont le flair n’est pas la principale qualité, va être amené à confronter sa candeur au mensonge. Il va jouer à l’espion qui va au froid à Prague… sous sa propre couverture. Son marionnettiste secret, ici nommé Georges Duperey, n’est pas un rigolo, un smiley dirait John le Carré dans l’Hypoténuse, surtout face à un scandale d’état. Même si l’hommage au maître du genre est assumé, Pierre Lemaître ne psychote pas trop et met plus d’actions dans un chapitre que le romancier du MI6 en 400 pages. Chacun son style.
En France, chez les Pelletier, la météo n’est pas plus calme. La santé du patriarche, Louis, décline mais personne ne souhaite lui dire au revoir, là-haut. Hélène donne la parole à ses auditeurs de nuit dans une émission de radio, Colette concurrence Cosette face à ses misérables parents, Geneviève fait du Geneviève, en pire et Jean se prend pour un patron chabrolien quand il contient ses colères.
Une fois encore, le fil de la narration ne s’emmêle jamais malgré la profusion de personnages devenus si familiers, l’histoire est plus addictive qu’une tablette de chocolat. Impossible de se limiter à un carré, John.
La Grande Histoire heurte une nouvelle fois la vie quotidienne et l’auteur parvient à infuser certains enjeux d’un demain qui était pourtant hier.
J’ai une nouvelle fois trouvé la lecture addictive car l’auteur joue avec son lecteur comme avec ses personnages. Tantôt, il nous met dans la confidence, nous prend presque à témoin dans le dos de ses héros, tantard (Pourquoi pas ?) il intègre un coup de théâtre aussi dramatique qu’imprévisible, parfois choquant, volant ce privilège au destin.
Ce nouvel opus porte une nouvelle fois avec talent l’héritage des grands feuilletonistes du 19e siècle. Dommage qu’aucun grand quotidien ou hebdomadaire n’ose réserver une ou deux pages à cette littérature populaire. À la place des programmes TV et de l’horoscope par exemple.
L’attente va être longue jusqu’au prochain.
Olivier de Bouty