C’est un nouvel OLNI que nous offrent les décidément singulières éditions du Gospel. Autodafé (Comment les livres ont gâché ma vie) est un court texte sur l’obsession littéraire. Une belle découverte.
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Autodafé (Comment les livres ont gâché ma vie) compte moins de cent pages et s’ouvre par l’incendie d’un appartement – incendie qui détruira des milliers de livres. Cette anecdote sert de point de départ à Thomas E. Florin, journaliste à Rock & Folk, pour construire cet étonnant récit dans lequel il est beaucoup question de littérature, mais aussi de musique, d’écriture et, plus globalement, de notre rapport à ces objets (livres, disques) que l’on accumule au hasard de nos existences. On les pense précieux, essentiels, sacrés peut-être… Mais le sont-ils tant que cela ? Cet attachement qu’on leur voue, que dit-il finalement de nous ?
Inclassable, Autodafé n’est pas un journal, encore moins un roman, peut-être une autofiction, mais alors l’une de celles qui ont oublié de se regarder le nombril pour se concentrer sur l’acte d’écrire plutôt que sur celui de se raconter. Car si le récit est bref, il offre beaucoup au lecteur. L’amoureux des livres, celui qui chérit l’objet autant que son contenu, retrouvera évidemment une part de lui-même dans ces pages qui – derrière ce titre très provocateur – racontent l’envahissement de nos espaces intimes par ces volumes que l’on achète, trouve, emprunte, vole parfois. Ils finissent par tapisser nos murs, restreindre nos espaces de vie… Autodafé peut donc être lu comme une réflexion sur l’obsession, qu’elle soit littéraire ou non.
Mais le livre de Thomas E. Florin est aussi un (auto)portrait : celui d’un homme qui décide de tout consacrer à la création, plutôt qu’à toute autre activité. Il est donc aussi beaucoup question d’écriture dans Autodafé, en filigrane le plus souvent, Thomas E. Florin évitant tout pensum assommant. Car si l’objet-livre est central ici, c’est parce qu’il désigne aussi bien les œuvres déjà écrites – encore une fois, celles qui s’alignent sur les étagères de nos bibliothèques – que celle que l’on tient justement entre nos mains. Autodafé est donc aussi un journal de création, le journal d’un homme qui a choisi l’écriture, quitte à se frotter de très près à la précarité (que Thomas E. Florin évoque avec beaucoup de justesse).
Présentée par son éditeur comme « brute, honnête et ciselée », la langue de Thomas E. Florin est évidemment ce qui contribue à faire de cet Autodafé une belle réussite. Car pour qu’un tel petit édifice littéraire puisse tenir debout, il faut effectivement que le style soit à la hauteur. Et il l’est. L’écriture est ici d’une grande simplicité, d’une belle limpidité : on y devine tout le travail d’un artisan qui a poli chaque phrase pour que ces quatre-vingts pages coulent et se lisent finalement d’une traite.
Après plusieurs romans étrangers déjà très appréciés ici, Le Gospel nous offre donc une nouvelle très belle découverte et il faut bien reconnaître qu’à l’heure où les rayonnages des librairies s’alourdissent chaque année de milliers de nouveaux livres, il faut une certaine audace pour publier et défendre un projet aussi singulier et roboratif, mais qui rappelle de fort belle manière le pouvoir de l’écriture.
Grégory Seyer