Venus défendre leur excellent dernier album, nos chéris écossais de Mogwai ont livré hier soir au Casino de Paris un set compact et puissant, mais auquel il a peut-être manqué un soupçon de magie, par rapport à leur formidable passage précédent à Pleyel.
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Au milieu d’un tout début d’année plutôt tranquille, le dernier album de Mogwai a été à la fois une déflagration et un moment de grâce, et on ne pouvait être que ravis que les Ecossais viennent défendre The Bad Fire aussi rapidement à Paris, et surtout dans l’écrin du Casino de Paris – complet ce soir -, bien approprié au post-rock intense du groupe.
Démarrage de la soirée à 19h45, quinze minutes avant l’heure prévue… il est vrai que Kathryn Joseph jouera 40 minutes. Kathryn a une très belle voix, avec des intonations à la Kate Bush ; elle est seule aux claviers, battant la mesure de son pied droit. Les morceaux qu’elle interprète sont tous très calmes, un peu uniformes sans doute du fait de mélodies évanescentes, mais néanmoins envoûtants grâce à sa voix et sa présence intense sur scène. Kathryn ne manque certainement pas d’humour quand elle s’exprime entre ses chansons : elle se présente d’emblée comme la sorcière qu’il nous faudra supporter en attendant Mogwai, celle qui chante des chansons de connasse (ou sur des connasses / « cunts » ?). Plus tard elle nous expliquera qu’elle ne sait dire en français que « on va faire un petit caca », ce qui lui a toujours été très utile. Bref, une femme qui manie l’humour, et même une jolie vulgarité, avec grâce et audace. Elle nous bouleverse avec son dernier morceau, For You Who Are The Wronged, qui parle des abus que le monde nous inflige (… et particulièrement en ce moment, ajoute-t-elle…) : « Hounded wounded blindеd / Until you found it out [You are survive her] » (Traquée, blessée, aveuglée / Jusqu’à ce que tu découvres ça [Tu lui survivras]). Un très beau moment de protest songs obliques, qui hurlent une vraie colère en toute quiétude, en toute intimité…
20h50 : Logiquement, puisque le set se concentre au cours de cette tournée sur The Bad Fire, on attaque avec God Gets You Back, l’introduction de l’album, et on enchaîne avec Hi Chaos… ce qui donnera le sentiment aux spectateurs qui attendent le Mogwai qu’ils connaissent depuis un quart de siècle, que l’intensité n’est pas la même que d’habitude. Le son est remarquablement bon, ce qui est évidemment essentiel pour profiter d’une musique complexe comme le post-rock des Ecossais, et les jeux de lumières sont extrêmement impressionnants. Beaux et impressionnants, en fait. Le seul problème est le choix de placer cette fois les musiciens dans une obscurité totale : on comprend l’idée, aider la public à « voyager » avec la musique et les faisceaux de couleurs, sans que les musiciens soient une… « distraction »… Mais on aurait quand même aimé voir un peu mieux le groupe, sans même parler de le photographier !
Sept titres sur dix de The Bad Fire vont être joués, en alternance avec sept titres extraits d’albums plus anciens : un motif indéniable de frustration pour tous les amoureux des œuvres précédentes du groupe, mais également pour nous, la setlist excluant assez inexplicablement le formidable Fanzine Made of Flesh, l’un des sommets du nouvel album… peut-être parce qu’il est habillé de quelques vocaux, alors que le set de ce soir sera totalement instrumental.
A mi course, l’intensité monte d’un cran, et Mogwai se mettent à enchaîner des morceaux puissants, construits sur leur habituel mécanisme de crescendo, parvenant régulièrement à faire naître un envoûtement qui tient aussi de l’engloutissement. Les amoureux du bruit, et ils sont forcément nombreux à un concert de Mogwai, déploreront que le niveau sonore n’ait pas été un peu plus élevé, même si l’on sait que la législation française nous prive de ces sensations extrêmes que nous aimons (et les fans partageront ensuite des anecdotes sur la colère de Mogwai lorsqu’ils découvrirent – au Café de la Danse, en 2001 – que la France ne les autorisait pas à jouer comme ils le souhaitaient !).
Le set – de une heure quarante minutes en tout – se referme sur un Lion Rumpus très accrocheur, avant un rappel qui sera consacré non pas au classique et très attendu Mogwai Fear Satan, mais à un My Father My King qui envoyait quand même du lourd… A noter que l’excellent Auto Rock, figurant sur la setlist, ne sera pas joué !
Verdict des vrais amateurs de Mogwai : un bon concert puissant, mais auquel il manquait un petit quelque chose pour qu’il atteigne les sommets. Pour nous, plus néophytes, ce set très compact a laissé de côté les variations d’intensité, de genre, de ton qui nous avaient enthousiasmés à Pleyel en mai 2022. Mais rien de grave, Mogwai restent l’un des groupes les plus originaux et les plus fascinants de notre époque !
Texte et photos : Eric Debarnot