Etonnante (petite) réussite d’Oz Perkings, après le discuté Longlegs, The Monkey est une adaptation inattendue d’une nouvelle de Stephen King dans un registre d’humour absurde, « cachant » un propos plus personnel qu’il n’y paraît à première vue.
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L’un des plus grands plaisirs que l’on puisse ressentir au cinéma, c’est de se retrouver devant un film qui n’a rien à voir avec ce que l’on pensait qu’il serait : ce genre de surprise n’a pas de prix, tant, après des décennies de cinéphilie, on s’ennuie vite devant l’exécution, même réussie, de recettes rabâchées, usées. Et finalement, la qualité intrinsèque du film devient moins importante que les surprises qu’il nous réserve. Aller voir un film comme The Monkey, l’histoire d’un jouet maléfique qui déclenche la mort autour de lui, d’après une nouvelle de Stephen King publiée en France dans le recueil Brume, avec James Wan à la production, c’est s’attendre à une certain « genre » de cinéma, parfois divertissant, souvent calamiteux, mais finalement très codé.
Evidemment, le nom d’Osgood Perkins (ou Oz Perkins) à la réalisation intrigue : le fils d’Anthony Perkins (et frère d’Elvis Perkins, le musicien) s’est déjà fait une solide réputation d’auteur disruptif, en particulier avec son film Longlegs. Cette fois, il approche The Monkey d’une manière particulièrement iconoclaste, qui va transformer un projet assez convenu au départ en grand WTF. Car King, fidèle à ses sujets de prédilection, travaille dans sa nouvelle, à travers cette « malédiction » classique de jouet déclencheur du « mal », des sujets aussi complexes que la culpabilité refoulée d’un père ayant souhaité la disparition de son enfant, ou, par effet miroir, l’impact chez l’enfant du contrôle de son instinct de destruction et du rapport de cette frustration avec la créativité artistique. Ce sont là de bons moteurs pour faire un film intéressant, et riche, mais Perkins s’approprie totalement l’histoire pour lui faire raconter ce qui lui importe, à lui, personnellement.
« Everybody dies, and that’s life. » : cette phrase répétée par la maman des jumeaux Hal et Bill (Christian Convery quand ils sont enfants, Theo James quand ils sont adultes…), personnage burlesque mais solaire, porteuse d’une énergie vitale magnifique dans son humour noir, définit parfaitement le film de Perkins. Alors qu’on pense d’abord regarder The Monkey comme une version joyeusement trash et gore de la série Destination Finale, il se révèle plutôt une tentative de conjurer la peur qu’ont les enfants de voir mourir leurs parents ou les parents de perdre leurs enfants, par exemple dans un accident aussi injuste qu’inexplicable et inévitable. Morte dans l’un des avions détournés et jetés par les terroristes contre le World Trade Centre, Berry Berenson, la mère d’Osgood et d’Elvis, est donc ramenée à la vie dans le film de son fils, avec cette question, à laquelle nul ne saurait répondre, sur la cruauté infinie du hasard (Impossible d’ailleurs de ne pas rire à la représentation dans le film de l’incapacité pitoyable de la religion à apporter une réponse pouvant apaiser la douleur de « ceux qui restent » !). Nous n’avons par contre pas assez d’éléments pour savoir si la relation conflictuelle opposant les deux jumeaux dans le film est de quelque manière que soit une recréation de la réalité des rapports entre Elvis et Osgood, mais il faut bien remarquer que dans le texte de Stephen King, il n’y a pas de frères jumeaux…
Au delà de ces éléments très personnels qui font finalement de The Monkey un véritable « film d’auteur », il est tout à fait possible de le regarder comme une comédie foutraque, excessivement gore, peuplée de personnages grotesques et décalés, avec des acteurs qui s’amusent visiblement énormément : on pense à l’excellent prologue, avec un Adam Scott qui semble ravi de sortir de l’univers de Severance, ou encore à la scène hallucinante avec Elijah Wood en « expert de la paternité », deux exemples de moments où le film correspond tout à fait et aux ambitions de Perkins et à nos attentes.
Tout n’est pas malheureusement aussi réussi, et après une première partie foudroyante, The Monkey s’enlise dans une histoire pas très bien écrite, maladroite, gâchant la pertinence du propos du film : on enrage en se disant qu’on est passé à côté d’un vrai bon film, et qu’on n’a finalement qu’un OFNI bancal. Heureusement, l’excellente dernière scène, organisant une rencontre spectaculaire avec la Mort dans ses oripeaux mythiques, fait qu’on sort de la salle avec un sentiment très positif. Et qu’on surveillera désormais avec intérêt la trajectoire d’Osgood Perkins.
Eric Debarnot