Tiens, écoute ça ! : « Like a Rolling Stone » de Bob Dylan

Notre nouvelle chronique, Tiens écoute ça !, consacrée à un titre qui inspire particulièrement l’un de nos rédacteurs, parle aujourd’hui de Like a Rolling Stone, morceau capital du Rock des années 1960.

Dylan 1966
Photo : wikimedia commons

Dylan est mal connu en France. Au mieux ceux et celles qui grandissaient dans les années 1960 le réduisaient à sa première période, celle du chanteur engagé. Pour les adolescents du début des années 1990, il pouvait être celui que les Guns’n’Roses avaient repris (Knockin’ on heaven’s door). Certaines connaissances mélomanes me disaient avoir du mal avec sa voix. Lorsque le Nobel de Littérature lui a été décerné, j’ai lu sur la toile certaines réactions qui l’auraient plutôt donné à Leonard Cohen. A titre personnel, certains de mes anciens enseignants appartenant à la génération Fab Four ont d’ailleurs plutôt eu tendance à m’aiguiller vers la musique du Canadien.

Like a Rolling StoneA l’occasion de la sortie dans les salles du biopic A Complete Unknown, il est intéressant de revenir sur le tremblement de terre qu’ont représenté le passage à l’électricité de Dylan et la chanson Like a Rolling Stone. Ces événements sont en partie méconnus en France, alors qu’ils sont au centre de la perception anglo-saxonne de Bob Dylan. Entre autres parce que ce Dylan-là fut reçu comme une réponse artistiquement convaincante du Rock américain à la British Invasion des Beatles et des Stones. Mais surtout parce que la rupture dans l’œuvre de Dylan se transformera en rupture pour toute la musique populaire américaine. Un impact que j’ai choisi d’évoquer en quelques mots, classés par ordre alphabétique…

Boss : « De la même manière qu’Elvis a libéré votre corps, Dylan a libéré votre esprit, et nous a montré qu’une musique peut être physique sans être anti-intellectuelle. Il a eu la vision et le talent de faire une chanson pop pouvant contenir le monde entier. » (Bruce Springsteen, discours d’introduction de Dylan au Rock and Roll Hall of Fame) L’idée d’un Rock à la fois intellectuel tout en gardant quelque chose de primitif pointée par le Boss annonce tout un versant arty de cette musique : le Velvet bien sûr, les Talking Heads et les Pixies à leur meilleur… Derrière « pouvant contenir le monde entier », il y a l’idée qu’une chanson pourrait avoir la même puissance qu’un grand roman. Et celle d’un Dylan électrique ouvrant la possibilité de textes travaillés dans le Rock, une brèche dans laquelle le natif du New Jersey s’engouffrera.

Bowie : Dont le premier chef d’œuvre contient une Song for Bob Dylan. Qui a repris Like a Rolling Stone dans une version discutable, réapparue à l’occasion de la sortie d’un album posthume de Mick Ronson. En passant à l’électrique, Dylan se crée une nouvelle identité musicale et réinvente son personnage. Une route est ouverte entre autres pour Bowie avec ses alias et ses virages musicaux à 180 degrés puis entre autres pour Prince et Madonna

Déchéance : Le morceau raconte comment une jeune femme de milieu favorisé ayant fait la bonne université et devenue égérie du monde artistique new-yorkais chute socialement. Celle qui regardait avec mépris les plus démunis se retrouve dans leur situation : « Having to be scrounging your next meal. » (Devoir quémander pour ton prochain repas)… La singularité de Dylan est son regard positif sur ce passage à la précarité. Il y voit l’occasion pour une enfant gâtée de se confronter au monde réel. La pierre qui roule (Rolling stone), c’est celle qui (comme le dit le proverbe) n’a pas amassé de mousse (de vécu) parce que tout a été trop facile pour elle jusqu’ici. « And nobody has ever taught you how to live on the street / And now you find out you’re gonna have to get used to it. ». (Personne ne t’a appris à vivre dans la rue et tu découvres qu’il va falloir t’y habituer.) Le narrateur y voit même une liberté puisqu’elle n’a plus à subir les parasites de la mini-célébrité. « After he took from you everything he could steal. ». (Après qu’il t’ait pris tout ce qu’il pouvait te voler).

Like a Rolling Stone 2Diss song : Bien avant que les rappeurs ne se taclent par chanson interposée, Dylan écrivait une chanson règlement de comptes. Peu importe de savoir si sa cible est réelle ou pas. Certains ont vu dans ce portrait d’une égérie déchue des milieux artistiques newyorkais Edie Sedgwick. Faux, car cette dernière ne devient égérie warholienne qu’aux alentours de la sortie du single. Peu importe la cible, ce qui compte c’est l’esprit. Surtout que la chanson satirise les milieux artistiques newyorkais dans leur ensemble en plus de cette dernière. En prenant le personnage principal de la chanson violemment à parti. Didn’t you ? (N’est-ce pas ?) How does it feel ? (Comment ça va ?) Ain’t it hard when you discover that… ? (N’est-il pas dur de découvrir que… ?) Quand ce n’est pas une remise en place en bonne et due forme. « Now you don’t talk so loud / Now you don’t seem so proud. ». (Maintenant tu parles moins fort, maintenant tu fais mois la fière)

Format : Parce que, bien avant Bohemian Rhapsody, le morceau cassait par sa longueur le format des 3 minutes, règlementaire à l’époque pour le passage à la radio.

Gainsbourg : Certes, Le Poinçonneur des Lilas fut une entrée en matière là où Like a Rolling Stone était le morceau d’un artiste déjà installé. Mais les deux morceaux furent des ruptures, des moments de modernité dans la musique populaire de leurs pays respectifs. Deux chansons partageant une posture cynique, un refus des bons sentiments. D’un côté le désespoir existentiel d’un salarié du métro parisien assailli de pensées suicidaires, de l’autre un artiste se faisant le procureur d’une égérie déchue du monde artistique newyorkais. Et une préférence alors nouvelle pour la signature vocale par rapport à la belle voix. Le murmuré plein d’amertume du Français, la voix nasillarde agressant l’auditeur chez l’Américain.

Godard : Un peu parce que Tarantino a comparé l’impact du Godard des débuts sur le cinéma mondial à celui du Dylan électrique sur la musique populaire américaine. Il est vrai que dans les deux cas l’héritage ne se limite pas à une influence directe mais à inspirer à leurs collègues artistes des manières de faire autrement. La façon de répondre aux interviews du Dylan de la rupture a quelque chose du contrepied, proche dans l’esprit du personnage incarné en interview par Godard à la même époque. Le Dylan de la période électrique est de plus un homme d’action pure, de mouvement permanent, un pur présent comme le Poiccard/Bébel de A Bout de souffle. Comme ce dernier, il est une figure émotionnellement indifférente aux autres (cf. le film de Mangold). Pour son documentaire culte, Don’t look back, Pennebaker recyclera d’ailleurs certains procédés formels d’A bout de souffle pour filmer Dylan.

Like a Rolling Stone 3Introduction : Once upon a time you dressed so fine (Il était une fois, tu étais si bien habillée). Une manière de propulser l’auditeur dans le vif du sujet en faisant une des plus belles phrases d’ouverture de l’histoire du Rock.

Mitraillette : Parce qu’il y a quelque chose de cela dans la vitesse avec laquelle Dylan débite son texte, produisant un effet de saturation. Une approche annonçant celle du Springsteen de Born to run et du Alex Turner de I bet you good on the dancefloor.

Polémique : La force d’une œuvre d’art est dans la manière dont son contenu peut dialoguer de façon parfois inconfortable avec le présent. Même les récupérations reflètent le poids culturel de ces dernières. Le « When you ain’t got nothing / you got nothing to lose » (Quand tu n’as rien, tu n’as rien à perdre) avait bien sûr en son temps à voir avec la recherche de liberté du mouvement hippie naissant. Mais ceci est devenu entre temps un slogan des chantres du libéralisme économique sans frein, d’un certain culte aveugle de l’entrepreneuriat. Le morceau considère en outre que son héroïne est libre car elle n’a plus de secrets à dissimuler (« No secrets to conceal »). A l’heure d’une culture de l’exhibition totale de soi encouragée par les réseaux sociaux, on peut débattre de savoir si ne pas avoir de secret à cacher constitue une liberté.

Saturation : Parce que le chaos sonore de la version du morceau Bob Dylan Live 1966, « The Royal Albert Hall Concert » devait être pour un public sixties l’équivalent de ce que Sonic Youth fut pour celui des années 1980.

Surréalisme : Parce qu’il y a quelque chose de cet ordre-là dans l’image du diplomate sur une moto avec un chat siamois sur son épaule ou du Napoléon en haillons. Si, contrairement à d’autres textes dylaniens de la période, le morceau a un sens évident à la première écoute, ces éléments incarnent son virage vers des textes plus imprégnés de la modernité littéraire du XXème siècle. Une approche qui fit de Dylan le candidat idéal pour l’attribution du Nobel de littérature à un auteur-compositeur.

Valse : Parce que le morceau en fut une à un moment donné de son processus d’élaboration. Un processus dont la longueur fut révélée par la publication de l’intégralité des sessions d’enregistrement des années électriques. Un démenti au mythe de l’artiste composant un chef d’œuvre en peu de temps suite à une trouvaille géniale.

Ordell Robbie

Like a Rolling Stone – les paroles :

Once upon a time you dressed so fine
Threw the bums a dime in your prime, didn’t you?
People call, say « Beware, doll, you’re bound to fall »
You thought they were all a-kiddin’ you
You used to laugh about
Everybody that was hangin’ out
Now you don’t talk so loud
Now you don’t seem so proud
About having to be scrounging your next meal

(Autrefois, tu t’habillais si bien / Tu jetais une pièce de dix cents aux clochards quand tu étais à ton apogée, n’est-ce pas ? /
Les gens qui t’appelaient et te disaient : « Attention, poupée, tu vas tomber » / Tu pensais qu’ils se moquaient de toi / Tu te moquais de / tous ceux qui traînaient avec toi / Maintenant, tu ne parles plus si fort / Maintenant, tu ne sembles plus si fière / De devoir quémander pour trouver ton prochain repas)

[Chorus]
How does it feel?
How does it feel
To be without a home
Like a complete unknown
Like a rolling stone?

(Comment te sens-tu ? / Qu’est-ce que tu ressens de ne plus avoir de toit ? / Comme une parfaite inconnue / Comme une pierre qui roule ?)

Aw, you’ve gone to the finest school all right, Miss Lonely
But ya know ya only used to get juiced in it
Nobody’s ever taught ya how to live out on the street
And now you’re gonna have to get used to it
You say you never compromise
With the mystery tramp, but now you realize
He’s not selling any alibis
As you stare into the vacuum of his eyes
And say, “Do you want to make a deal? »

(Oh, tu es allée à la meilleure école, c’est vrai, Mademoiselle Solitaire / Mais tu sais que tu n’y allais que défoncée / Personne ne t’a jamais appris à vivre dans la rue / Et maintenant tu vas devoir t’y habituer / Tu dis que tu ne fais jamais de compromis / Avec le mystérieux clochard, mais maintenant tu te rends compte / Qu’il ne vend aucun alibi / Quand tu regardes dans le vide de ses yeux / Et que tu demande : « Est-ce que tu veux conclure un marché avec moi ? »

[Chorus]

Aw, you never turned around to see the frowns
On the jugglers and the clowns when they all did tricks for you
Never understood that it ain’t no good
You shouldn’t let other people get your kicks for you
You used to ride on a chrome horse with your diplomat
Who carried on his shoulder a Siamese cat
Ain’t it hard when you discover that
He really wasn’t where it’s at
After he took from you everything he could steal?

(Oh, tu ne t’es jamais retournée pour voir les froncements de sourcils / Sur les jongleurs et les clowns quand ils faisaient tous des tours pour toi / Tu n’as jamais compris que ce n’était pas une bonne chose / Tu ne devrais pas laisser les autres prendre tes coups de pied à ta place / Tu avais l’habitude de monter sur ton cheval chromé avec ton diplomate / Qui portait sur son épaule un chat siamois / N’est-ce pas dur de découvrir / Qu’il n’était vraiment pas là où il devait / Après t’avoir pris tout ce qu’il pouvait te voler ?)

[Chorus]

Aw, princess on the steeple and all the pretty people
They’re all drinkin’, thinkin’ that they got it made
Exchangin’ all precious gifts
But you’d better take your diamond ring, ya better pawn it, babe
You used to be so amused
At Napoleon in rags, and the language that he used
Go to him now, he calls ya, ya can’t refuse
When ya ain’t got nothin’, you got nothin’ to lose
You’re invisible now, ya got no secrets to conceal

(Oh, la princesse sur le clocher et toutes les jolies personnes / Elles sont toutes en train de boire, pensant qu’elles ont tout pour plaire / Elles échangent tous leurs précieux cadeaux / Mais tu ferais mieux de prendre ta bague en diamant, tu ferais mieux de la mettre en gage, ma chérie / Il te faisait tellement rire / Ce Napoléon en haillons, avec le langage qu’il utilisait / Va le voir maintenant, il t’appelle, tu ne peux pas refuser / Quand tu n’as rien, tu n’as rien à perdre / Tu es invisible maintenant, tu n’as plus de secrets à cacher)

[Chorus]

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