Maître en la matière, à savoir l’art de dissiper les nuages et de sortir du brouillard, Harry Cloud brouille les pistes, histoire de nous perdre avant de se retrouver avec une œuvre animée d’une étrange énergie. L’amplitude musicale est chez Harry, un axe dans lequel ses capacités à s’exprimer en dehors du format couplet/refrain, sont d’une totale liberté.

N’appartenir à aucune chapelle, n’être désigné par aucun raccourci, genre musical ou même style en vogue, c’est en cela que l’on pourrait décrire Harry Cloud. Pour définir la chose, sans prendre de risques, l’exercice est une sorte de cabriole burlesque, en parallèle à la musique de cet étrange personnage. Non qu’il s’agisse là d’un agité du carafon, mais, par ses intentions, l’écart avec la norme ambiante est flagrant. Et cette différence, nous la comprenons trop souvent en retard, d’où l’intérêt de publier cette chronique aujourd’hui seulement. Pour faire simple, l’album en question s’émancipe de la peur d’être invisibilisé, escarmouche très fréquent chez l’artiste dont l’Ego tente de se dépatouiller.
A peine remis de l’inclassable The Cyst, l’homme-orchestre poursuit sa mutation, passant de freak à une entité informelle, visqueuse et protéiforme. La pochette vous butine les yeux, et que dire des oreilles bombardées par ces accords détraqués, cette voix déformée que Anthrax propose en entracte ? Il faut laisser la substance agir, le temps qu’elle irrigue chaque membre : Journey To The Center Of The Spirit offre un panorama instrumental gorgé de wah-wah en toile de fond, les guitares sont vissées sur une machine molle, dont les pièces liquéfiées reprennent formes dans une chape sonore mastoc, d’où s’évadent des fragments de voix.
C’est avec God Tits que l’on bascule vers une toute autre dimension. Hanté au possible, totalement imprévisible dans son évolution, Harry Cloud déplace ses patterns sur un parterre immense, mais ça dégouline partout, impossible de retenir cette matière flasque. Comble du plaisir, Motherfucker #1 embraye avec une étrangeté des plus obsédantes, renvoyant les performances de compositeurs de renommée à un petit cercle d’intellectuels en phase de surchauffe.
Avec un pet royal, Harry Cloud se paye le luxe de nous balancer à la gueule un furieux Grasshopper Mouth Shit Head. Vous commencez alors à capter là où Harry veut en venir : une gueulante ponctuée d’une voix composite, les limites éclatent sous le poids des instruments, expansifs à un degré tel qu’il est impossible de ne pas écouter à plein volume ces 2 minutes et 43 secondes. Sans tomber dans une vulgarité régressive, Sexy Tooth Situation décrit les méfaits de la vie moderne, et nous contraint à admettre ce que notre propre image renvoie : non pas aux autres, mais à notre propre individualité dans la masse d’individus… Le grotesque de nos actes, de nos vaines tentatives à vouloir échapper à la cruauté du réel.
Croustillant et mordant, Harry Cloud passe à un cran supérieur, il suffit de pointer ses oreilles et écouter attentivement Ketamine Trip pour être convaincu que le génie n’a point besoin d’être revêtu d’une étiquette. L’horreur côtoie la beauté (My Story), et c’est avec Simple I Am que vous comprendrez que son auteur se livre ici avec une expression insolite.
Le disque mérite amplement ses 5 étoiles. Venez, écoutez, vous en redemanderez.
Franck Irle
Harry Cloud : Sexy Tooth Situation
Label : Whiteworm Records
Sortie : 02 octobre 2024