« La Longe », de Sarah Jollien-Fardel : le déchirant travail de deuil d’une mère

Dans ce roman âpre, à l’image des Alpes valaisiennes où il se déroule, Sarah Jollien-Fardel exalte la force de l’amour face à la douleur dévastatrice de la mort d’un enfant. Un amour qui prend des voies aussi cruelles qu’inattendues.

Sarah Jollien-Fardel
© Philippe Matsas

« Tous les matins, pendant un quart de seconde, je suis bien. (…) Pendant ce quart de seconde, j’ai la vingtaine et je retrouve mon grand amour, j’ai huit ans et je défile à travers le village dans mon aube de première communiante. J’ai bientôt quarante ans et mon enfant vit encore. » Trois ans maintenant qu’Anna, la petite fille de Rose est morte, renversée sur son vélo par une camionnette. Trois ans que Rose tente, en vain, de revenir à la vie. Nous la découvrons, au tout début du roman, attachée par une longe dans un « mayen », un petit chalet des Alpes suisses. Comment en est-on arrivé là ? On se souvient de la violence du premier livre de Sarah Jollien-FardelMa préférée. La Longe va plus loin encore dans cette voie : hanté par la folie et la mort, dévoré par la douleur, c’est un récit particulièrement éprouvant, à l’image de ces âpres montagnes du Valais – la région d’origine de l’auteur – où il se situe.

" La Longe", de Sarah Jollien-FardelPrenant la forme d’une analepse qui, peu à peu, éclaire l’intolérable image liminaire de cette femme seule, enfermée et entravée dans le noir, La Longe retrace l’histoire de Rose, racontée par elle-même, en deux parties séparées par un « aparté » où un narrateur s’adresse à elle. Une enfance montagnarde marquée par la maladie puis la mort de sa mère, les heures passées dans le café de sa grand-mère au milieu des clients aussi chaleureux qu’alcoolisés, les liens distendus avec le père et le frère, le départ pour Lausanne, les études d’ostéopathie, les retrouvailles et l’histoire d’amour avec Camil, un ami d’enfance. Et puis la naissance, presque inopinée, d’Anna. Le bonheur. Et, huit ans plus tard, la mort d’Anna, la culpabilité, l’absence comme un gouffre. Un désir irrépressible de savoir, de comprendre, de se venger.

Éclairant la noirceur du récit, de belles figures de femmes, ces deux grands-mères hors du commun, aimantes et si différentes, qui ont encouragé Rose à vivre sa vie… Et cette mystérieuse visiteuse qui vient à la cabane lui raconter sa propre douleur, sa reconstruction, et qui, derrière un mur, tente de la réconcilier avec la vie, en lui lisant des pages de Duras, de Charlotte Delbo, de Rilke…. Camil aussi, lié à Rose par un amour fou qui prend des chemins si inattendus et si tortueux que beaucoup pourront les trouver insupportables. Un roman rude, dérangeant, une ode, poétique autant que réaliste, à la nature, à ces montagnes valaisiennes où l’on ne s’étonne presque pas de croiser Ella Maillart. Une célébration surtout du pouvoir de l’amour et des mots qui auront, seuls, le pouvoir de libérer Rose de sa longe.

Anne Randon

La Longe
Roman de Sarah Jollien-Fardel
Éditions Sabine Wespieser
153 pages – 18€
Parution le 9 janvier 2025

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