A partir d’une arrivée et d’un départ, Carine Tardieu réalise un film sur la reconstruction d’un noyau familial, plein d’élans contradictoires et loin des stéréotypes du cinéma français. Pour nous montrer qu’il faut avant tout du temps pour que l’Attachement se fasse…

Le point de départ de L’attachement est un double événement : la naissance de la petite Lucille, dont l’âge rythmera les chapitres du récit à venir, et la mort de sa mère au même moment. L’arrivée et le départ, l’irruption et l’absence à gérer pour le père posé sur le palier de son appartement, interdit, avec à la main le fils de sa défunte compagne, grand frère tout aussi chamboulé par la situation.
Le palier est un motif central dans le film de Carine Tardieu : c’est le sas des rencontres, l’accès chez la voisine, une voie d’issue et le lieu des atermoiements. Car au fil des mois, le temps fait son œuvre, et le noyau familial se recompose, s’agrège de rencontres nouvelles, de retrouvailles avec le père biologique, de souvenirs, de culpabilité et d’élans contradictoires.
Claude Sautet aurait pu filmer cette communauté à géométrie variable, où les directions prises ne sont jamais véritablement définitives. Le même amour pour ses personnages caractérise l’approche de Carine Tardieu, qui les rend vivants tout en explorant leurs failles. La superbe partition des comédiens (Marmaï, Bruni-Tedeschi, Pons, Quenard, et Mouchet dans le rôle de la mère endeuillée) forme une communauté dans laquelle le drame est un point de départ, et en aucun cas un moteur des relations à venir. Pas de conflit véritable, donc, mais la volonté de comprendre les vents pour tenter de placer sa voile, tout en tenant compte du regard des enfants, qui n’ont pas besoin de parler pour faire comprendre ce qui est juste ou non.
Le personnage de Sandra, véritable socle du récit, se définit ainsi avec cette place incongrue, de l’autre côté du palier : « Je suis juste la voisine ». Au lieu de basculer dans les stéréotypes traditionnels de la dramédie française sur l’alliance « improbable » entre la ronchon célibataire et l’enfant spontané, le récit explore cette relation par touches successives, questionne un statut mouvant et le lien avec chaque membre de la communauté. Ici, chacun s’affirme, avec plus ou moins de conviction, plus ou moins de force, comme le féminisme de Sandra, qui reste une toile de fond et alimente à certaines occasions les échanges, pour expliquer, attaquer ou remettre en question. Parce qu’il faut du temps, et que l’on se retrouve souvent à constater ce qui s’est construit autour de soi, ce qui relevait a posteriori de l’évidence, ou ce qui fut le fruit d’illusions motivées par des élans sincères (le très juste et poignant « Je t’ai aimée à plein de moments »).
Les mois de la vie de Lucille défilent, et avec eux se construit ce sentiment qui ne peut se construire que sur la durée, laquelle lui confère une solidité sans pareille : l’attachement.
Sergent Pepper