Hier soir, à la Maroquinerie, Peter Perrett faisait ses adieux à la vie « rock’n’roll », devant un public amoureux et conquis, et a fait parler la poudre, pour notre plus grand plaisir. Vieux, le Rock ? Oui,… et alors ?
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Le Rock est vieux, c’est un fait. Il ne mourra jamais, contrairement aux affirmations péremptoires et stupides qu’on lit régulièrement. Mais comme le jazz avant lui, et comme le fera le rap après lui, il a vieilli. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait pas, à travers le monde, des milliers (au moins) de jeunes gens qui jouent du Rock avec grâce, enthousiasme, et talent : la question n’est pas là. La question est que la forme « Rock », même actualisée, même mutante comme de nombreux artistes la travaillent, la réinventent en 2025, est une forme qui n’est plus tout à fait pertinente par rapport à notre époque. Pire, le Rock, pour toute une partie de la population mondiale, qui refuse obstinément d’évoluer au-delà de Led Zeppelin, de Queen, du Pink Floyd – les trois noms les plus chéris par les nostalgiques en ce moment – est devenu une pure madeleine de Proust, aussi rance d’ailleurs que chez l’écrivain.
Et ce soir, à la Maroquinerie, alors que nous sommes dans la queue pour aller assister à ce qui a été plus ou moins annoncé comme la dernière tournée de Peter Perrett, semi-« loser » mais culte total d’un rock noir, « cuir », tranchant, mélodique comme on en faisait dans les années 70-80, il est difficile de ne pas penser que le, oui, le Rock est vieux. Les cheveux sont gris devant la Maroquinerie, quasi uniformément, et bien des conversations tournent autour de groupes et d’artistes ayant largement dépassé leur date de péremption. C’est un peu triste quand même, surtout quand on sait que Peter Perrett, inoubliable – mais largement oublié – leader des Only Ones et compositeur au talent pas si éloigné de celui d’un Lou Reed, par exemple – a maintenant 72 ans, et qu’il en paraît presque 10 de plus : les excès de drogues et les problèmes de santé forment une combinaison redoutable, et le corps ne suit plus. Même si l’esprit reste vif, et le talent aussi : le dernier (dans tous les sens du terme ?) album de Perrett, The Cleansing est sans doute son meilleur, n’en déplaise aux (encore une fois) nostalgiques qui ont envie ce soir d’entendre les chansons des Only Ones… Bon, on se dit qu’on verra bien, et qu’il sera toujours temps de verser une larme sur le temps qui passe à la fin du concert.
20h05 : C’est, comme au Café de la Danse il y a presque 6 ans, le fiston Perrett, Jamie, qui ouvre la soirée, mais cette fois en solo. Dans un style qu’on peut trouver proche de celui d’un Billy Bragg, il nous offre sept chansons, pour la plupart pas très énergiques, mais plutôt réflexives, qu’il chante en s’accompagnant à la guitare électrique. Sa voix sonne parfois étonnamment comme celle du paternel, ce qui n’est pas étonnant. Il n’a pas hérité malheureusement du talent mélodique de Peter, mais chante avec conviction des textes qui font du sens. A noter par exemple un beau God Is Praying, constat déprimé de l’état du monde actuel. 35 minutes certes pas exceptionnelles, mais, au moins, humaines, vraies. Ce qui semble parfois un luxe.
21h05 : démarrage un peu cafouillis de Peter Perrett et de son groupe, en format très rock ce soir (il y aura quand même trois guitares en tout, et le batteur tapera particulièrement fort, parfois trop peut-être !). Entre une entrée en scène retardée et la nécessité d’accorder les instruments au dernier moment, on a une légère impression d’amateurisme, ce qui n’est, d’ailleurs, pas désagréable.
Peter a de nouveau pris un coup de vieux depuis le Café de la Danse, il est vraiment très frêle, sa voix est plus faible, et il jouera beaucoup moins de la guitare. On le sent fatigué, mais on remarque alors la malice dans ses yeux, et aussi l’amour, l’admiration qu’il ressent pour son fils Jamie, qui va jouer au guitar hero durant l’heure et demie du set. Et on se dit alors que, même si on arrive au bout de la route, être capable de sortir un album du calibre de The Cleansing, aussi crépusculaire soit-il, et tourner avec un fils musicien dont on est fier, ce n’est pas une si mauvaise conclusion que ça !
Par rapport à il y a six ans, le set démarre moins fort, comme si tout le monde avait besoin de trouver ses marques, mais montera peut-être plus haut, au cours d’une seconde partie puissante, et véritablement excitante. Côté déception (même petite), nous devons admettre que nous attendions que The Cleansing, avec ses beaux et sages messages d’adieu et ses magnifiques souvenirs – souvent ironiques – d’une vie dissolue, soit au cœur de la setlist : seulement cinq titres sur les dix-huit joués ce soir, ce n’était tout bonnement pas assez… même si nous avons quand même eu droit à certains des meilleurs. Le merveilleusement ironique My Taliban Wife, l’énergique Mixed Up Confucius, et surtout, en conclusion parfaite de la soirée, le tranchant Disinfectant nous ont (presque) comblés.
Car ce sont finalement les reprises des titres des Only Ones qui ont été le point faible du set, à l’exception – notable – d’une version littéralement terrible de The Beast. Ah, parmi les pics d’énergie et d’intensité, il faut aussi signaler le redoutable War Plan Red, l’un des morceaux certainement les plus méchants, les plus combattifs de Perrett, qui est devenu terriblement pertinent aujourd ‘hui : « Some of my childhood heroes, my family and friends / I’m not ashamed to admit, are Americans / But the so-called free world stands for evil incarnate / So many people ignorant of the reasons for the hate » (Certains de mes héros d’enfance, certaines personnes de ma famille, certains de mes amis / Je n’ai pas honte de l’admettre, sont américains / Mais le soi-disant monde libre représente le mal incarné / Tant de gens ignorent les raisons de la haine). Pas de besoin de déclaration « politique » au micro, Peter laisse ses chansons parler pour lui, et c’est exactement ce que doit faire le Rock, non ?
Bon, la voix de Peter – et sa présence scénique – n’étant plus ce qu’elles étaient, c’est à Jamie qu’a incombé la responsabilité du côté spectaculaire du set, et il n’a pas démérité, nous abreuvant de solos de guitare quasi incessants (parfois un peu trop envahissants, peut-être ?), apportant au set une incandescence bienvenue.
En résumé, nous avons eu droit à une heure et demie de très bonne musique, très bien composée, très bien interprétée, avec une flamme qui balayait sans problème toutes nos considérations sur la « vieillesse » du Rock. Et d’ailleurs à fin, quand il nous a enfin parlé, visiblement très ému par la soirée, Peter nous fait une promesse, certes difficile à tenir, mais à laquelle nous avons aimé croire : « Si je suis encore là (sous-entendu « vivant »), je reviendrai ! ». Tu as intérêt, Peter, tu as intérêt !
Texte et photos : Eric Debarnot