Bien que trop long, L’Invasion, disponible sur Arte, voit Sergei Loznitsa montrer la détermination des Ukrainiens par temps de guerre au travers du quotidien le plus banal. Sans pour autant taire certaines dérives accomplies au nom de la lutte contre la Russie.

Si l’Ukrainien Sergei Loznitsa est un des documentaristes essentiels de notre époque, c’est d’abord pour ses films utilisant comme matière exclusive des images d’archive. Ainsi le superbe Funérailles d’État, narrant les funérailles de Staline et les journées de deuil ayant suivi sa mort. Un film fonctionnant à la fois de manière directe et comme quelque chose susceptible d’éveiller l’esprit critique : le film donnait à voir toute l’ampleur du culte de la personnalité construit autour du dictateur et son empreinte sur le peuple russe.
Montré à Cannes l’an dernier et diffusé sur Arte, L’Invasion concerne l’Ukraine présente et pourrait à première vue sembler moins singulier artistiquement. Des instants banals de la vie quotidienne en Ukraine par temps de guerre, filmés dans leur continuité, dans une lignée Wiseman/Akerman. Dispositif occasionnant ici des longueurs, quand bien même un détail évocateur (la sirène des alertes aériennes) peut parfois surgir.
Il est question de raconter comment la vie continue en dépit de la guerre. Enterrer les morts à la guerre, célébrer le mariage d’une jeune femme avec un soldat en uniforme, prendre un bain d’eau glacée, rééduquer les amputés de guerre, s’abriter au bruit d’une sirène, s’entraîner au tir, s’abriter si nécessaire…
Mais pour Loznitsa donner à voir la détermination des Ukrainiens à continuer à vivre malgré tout ne signifie pas manquer de lucidité sur la manière dont le patriotisme peut risquer de virer au nationalisme idéologique. La séquence la plus saisissante du documentaire concerne la dérussification du pays. La destruction des livres russes déposés dans un café littéraire (dont les vendeuses parlent d’une explosion dans le ciel comme d’une scène de blockbuster !) est montrée dans sa continuité, notamment au travers du plan le plus saisissant du film.
Un écrivain russe qui avait attaqué le Socialisme tout en comprenant les causes de sa montée en Russie (Dostoïevski), deux frères auteurs de Science-Fiction critiquant le régime soviétique en contrebande dans leurs livres (les Strougaski, dont le cadet ne ménageait pas ses critiques anti-Poutine dans les dernières années de sa vie) et… Staline se retrouvent mis à égalité dans le cadre, égaux devant la destruction de leurs écrits.
Début et fin, formant presque une boucle narrative, font également partie des instants saisissant d’un documentaire célébrant le courage d’un peuple de façon pas totalement orthodoxe.
Ordell Robbie