[Live Report] Jack White et Bleakness au Trianon (Paris) : l’heure bleue

Mr. Jack White était en ville, cette semaine, pour trois dates qui ont beaucoup excité tous les amoureux de son Rock à la fois traditionnel et « ledzeppelinesque ». Nous y sommes bien sûr allés, et voici un premier avis de nos rédacteurs, en attendant la suite…

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Jack White au Trianon – Photo : Eric Debarnot

Le retour discographique de Jack White dans le cœur de ses vieux fans avec No Name, un album qui reconnectait l’ex-héros des années 2000 avec la dernière période des White Stripes, celle de Icky Thump, a été spectaculaire. La décision de Jack d’éviter de jouer à Paris dans un grand hall façon Zénith, mais de nous offrir trois concerts à taille humaine dans des salles aussi chaleureuses que la Cigale et le Trianon, tout en mettant un terme à sa stratégie anti-photographies et anti-smartphones, a encore aidé à faire remonter sa cote au plus haut. Ce qui fait que, de vendredi à dimanche, Paris a vécu à « l’heure bleue », celle de Mr. Jack White. Et ma foi, sans faire forcément partie de ceux qui le vénèrent, cela faisait très, très plaisir de voir un Rocker, un vrai, même si ses tendances puristes / traditionnalistes ne sont pas non plus notre tasse de thé, en haut de l’affiche (ou presque…).

Les retours sur les sets du vendredi (à la Cigale) et surtout du samedi (au Trianon) ayant été très positifs, nous voilà dans la queue très tôt devant le Trianon, cinq heures avant l’ouverture des portes, afin de garantir une bonne place pour pouvoir profiter du spectacle ! La longue attente, au soleil (un luxe…), et entourés de passionnés partageant leurs meilleurs souvenirs et leurs plus belles expériences avec Jack, et harnachés de leurs tote bags remplis d’achats à la boutique éphémère de Third Man Records, est un bon moment de convivialité « rock’n’roll » comme on en vit finalement peu désormais : l’un des effets secondaires de Mr. Jack, sans aucun doute.

2025 02 23 Bleakness Trianon (5)A 18h45 – oui, la soirée a commencé tôt -, ce sont les rockers de Lyon, Bleakness, qui ouvrent le bal. Ils jouent un punk hardcore plutôt US, énergique, enflammé, mais sans réelle surprise, un peu trop respectueux des standards du genre. Le chanteur a un style conforme à celui imposé à l’époque par des « leaders d’opinion » comme Fugazi, qui correspond aux textes engagés et sombres du groupe, mais on est plus surpris par le « look Ramones » du bassiste, un peu décalé mais bien sympathique. Le son est excellent, le trio en veut, mais on a du mal à se passionner pour tout ça. Un groupe qui n’a peut-être pas encore l’envergure pour jouer dans une salle de cette taille, et qu’il faudrait revoir dans des conditions plus appropriées, dans un petit club rempli de punks acharnés…

Il est 19h45, et Mr. Jack White – baigné bien entendu de lumière bleue – entre sur scène avec son « power trio » d’accompagnateurs : on sait, avec lui, ça fait quatre, mais il convient de saluer d’emblée la performance remarquable que vous nous offrir ces musiciens redoutables, tant du point de vue virtuosité, énergie que cohésion. La section rythmique de Patrick Wheeler (ex-The Raconteurs, mais aussi ex-Afghan Whigs) et Dominic Davis s’est immédiatement avérée une formidable machine – à la fois en termes de puissance et de précision -, parfaite pour que Jack puisse y poser en toute tranquillité ses riffs blues rock traditionnels aussi bien que ses solos « à la Jimmy Page ».

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La setlist variant tous les soirs, les paris étaient ouverts sur ce que jouera Jack ce soir, mais on savait qu’il nous offrirait un melting pot d’extraits de No Name et de titres des White Stripes, des Raconteurs et de The Dead Weather, avec quelques rares retours en arrière sur sa carrière solo. Le tout casé en 1h20 minutes, puisque c’est la durée annoncée à l’avance pour toute la tournée. Pas très long ? Non, en effet, mais Jack s’est défendu des accusations de pingrerie en affirmant préférer la qualité à la quantité, l’intensité au délayage !

Et de fait, nous aurons droit à ces fameuses quatre-vingt minutes, y compris un rappel de quatre titres se terminant forcément par Seven Nation Army, constituées d’une bonne vingtaine de titres enchaînés sans une seconde de pause (un peu à la manière Pixies…). Avec un maximum d’intensité, avec un niveau « d’engagement » de Jack qui nous a paru bien supérieur à celui de ses précédentes tournées…

2025 02 23 Jack White Trianon (14)… et donc avec un public ravi et bouillonnant, dans la fosse comme aux balcons (même s’il semble que la salle ait été bien plus chaude la veille au soir…). Le set monte d’ailleurs en puissance au fur et à mesure de la soirée, culminant par quatre derniers titres féroces, pleinement satisfaisants. Et puis, à la fin, il faut bien admettre que Seven Nation Army, même si son riff est un peu usé par son multi-usage immodéré dans les stades de foot, met toujours les larmes aux yeux, gonfle toujours le cœur, comme les grandes hymnes rock doivent le faire.

Pourtant, pourtant, et c’est là que les fans reconnaîtront que nous ne faisons pas partie de leur cercle, il nous a été difficile de trouver ça vraiment passionnant : dans le fond, ce respect des racines, repassées au filtre « Led Zep », a tendance a laminer toues les chansons, qui sonnent toutes un peu pareilles, au point qu’on a même du mal à les reconnaître. Energie, enthousiasme, intensité, oui. Virtuosité aussi, bien sûr, ce qui ravit les passionnés de technique instrumentale. Mais, pour nous, cette musique n’a finalement pas grand-chose à nous dire d’intéressant, de pertinent. De touchant. D’humain. Jack White joue – mais ça a été toujours le cas depuis la fin des White Stripes – une musique pour les gens qui aiment la musique bien jouée, bien fidèle à une certaine philosophie de ce que doit être le rock « classique ». D’ailleurs, quand il s’en est éloigné pour se frotter à des tendances plus modernes, dans ses disques précédents, sa « formule » fonctionnait mal… D’où ce retour (brillant) dans son pré carré que constitue No Name.

Il y a eu pour nous, au milieu de ce maelstrom de Rock brûlant, un moment particulièrement révélateur : la reprise du sublime You’re Pretty Good Looking (For a Girl). A la fois massacré, malvenu au milieu des bolides rutilants de la setlist, ce titre jadis bouleversant quand il était chanté et joué par Jack et Meg, avec leurs ressources limitées et leur esprit punk DIY, est désormais une anomalie. Il n’empêche que De Stijl était un chef d’œuvre absolu et bancal. Le genre de choses que Jack White, à près de cinquante ans mais en paraissant dix de moins, ne sait plus faire.

Texte et photos : Eric Debarnot

 

14 thoughts on “[Live Report] Jack White et Bleakness au Trianon (Paris) : l’heure bleue

  1. Bah oui, c’est de la merde pour nostalgiques complètement has been, mais est-ce un scoop ? Et pourquoi ai-je lu cet article, au fond ?… Vertige métaphysique.

    1. Tu y vas peut-être un peu fort, car du coup, qu’est-ce que tu dis des gens qui ressassent leur amour de Pink Floyd ou de Queen ?

      1. Tout pareil en fait… Je ne comprends pas cette nostalgie et pour moi cette passion pour l’adult rock qui, comme vous l’avez dit très bien, n’a pas grand-chose d’intéressant à dire (du moins à nous dire) en 2025 est incompréhensible. Je comprends en revanche très bien que Benzine y consacre un article (deux, moins…) puisque par définition ce ne sont pas que des jeunes qui vous lisent. Mais vous êtes infiniment plus précieux quand vous parlez de musiciens qui ne se noient pas dans un passé poussiéreux et sans âme. Vous lire parler des inspirations de Last Train ou, sous une autre plume, des génies rigolards de Cabestany, me semble beaucoup plus précieux. Jack White est déjà mort (depuis 15 ans en fait) et aura du succès sans vous… Je pense que l’on peut tous consacrer notre temps, pas indéfini sur cette planète, à autre chose…

        1. On est évidemment assez d’accord avec ce que tu dis ici. Juste pour expliquer les deux articles, on n’était pas loin d’un POUR et CONTRE comme on fait pour certains films où on est divisés. J’ai moyennement apprécié le concert, mon collègue Ordell beaucoup plus, l’idée était donc de donner les deux points de vue. Sinon, tu es un tout petit peu dur avec les fans de Jack White : on a plus de problèmes, quant à nous, avec la nostalgie de gens qui n’ont plus écouté de musique depuis le passage au XXIè siècle, et qui ressassent leur obsession pour les « grands groupes » des années 70 !

        2. @Jérôme Barberousse
          Désolé d’ajouter mon grain de sel, mais je suis toujours bien chaud pour causer de Jacques Blanc. Si le format de sa tournée actuelle se prête bien à la nostalgie du garage des débuts, ça n’a pas toujours été le cas. Lorsque je l’avais vu, il faisait même en sorte de s’en écarter, tournant avec deux synthétiseurs qui refaisaient le portrait des chansons. Sa production studio des 15 dernières années a justement le mérite d’avoir encore défriché du terrain. Boarding House Reach et Fear of the Dawn ont leurs détracteurs jusque dans notre rédaction, mais je n’en fais pas du tout partie.
          Bref, il est fort grossier de pronostiquer le décès (je comprends qu’il s’agisse de provoquer, bien sûr) d’un type qui a prouvé la pertinence de sa carrière solo comme peu d’autres artistes de sa génération. Je dirais même qu’il fait partie des cibles les moins évidentes pour ce genre d’objection. J’avais récemment hésité à consacrer un article à cette question, qui me semble riche de sens. Peut-être passerai-je à l’acte en 2025.
          Néanmoins, je vous suis tout à fait sur la question de la notoriété. Il est absolument exact que le succès de White aura cours sans la contribution de notre plateforme. Cependant, nous sommes aussi des fans, et le suivi d’artistes au fil d’une vie reste une part cruciale de l’affect procuré par leur musique. On aime voir nos héros évoluer et vieillir, à plus forte raison quand leur production continue de nous enthousiasmer. Parler d’un Neil Young, d’un Nick Cave ou d’un Jack White ne nous empêchera jamais de relayer les nouvelles sorties de jeunes talents. Quand je vois la productivité de mes collègues, je me questionne sur leur temps de sommeil.

  2. La clé : Voir The White Stripes en 2005, voir la musique, la scène et les musiciens qui bougent, un peu, beaucoup. Ils sont là, ils sont tous là, ils sont partout. Meg et Jack WHITE étaient très impressionnants. Impactants au plus profond.
    Donc la suite, c’est juste du bonus, une visite, un after qui n’a du sens que si l’on a vu The White Stripes en 2005.

  3. Il y a eu deux report mais il y aurait pu en avoir zéro. J’ai acheté ma place suite au rajout d’un petit contingent de nouvelles places à des concerts complets. Eric a pu avoir la sienne quelques jours après moi. Ensuite, je doute que tous nos lecteurs soient mécontents de l’existence de ces compte-rendus (et pas seulement les plus « vieux »). Il y a pas mal d’articles de défrichage sur le site, on ne va pas mourir pour deux trucs sur ce qui était le petit évènement mensuel côté concert du fait du choix de petites salles par un artiste qui aurait pu se produire dans une arena. De plus, n’ayant pas discuté avec le public du Trianon, je ne saurais dire s’ils sont du genre « Après les White Stripes le déluge » (remplacer les Stripes par le Floyd ou « le GOAT du Rock parce que c’était le groupe fétiche de mes 20 ans »). Rien ne permet de le certifier. Enfin, je ne me lamente jamais comme cinéphile de voir que des cinéastes qui ne m’intéréssent plus continuent d’intérésser d’autres (tant mieux pour eux). Et puis libre à ceux et celles en désaccord avec la ligne rédactionnelle de postuler pour écrire sur un site qui, je le rappelle, est bénévole.

    1. Je comprends, le but n’était pas de blesser, plutôt de titiller de manière gentiment provoc. Sur le fond j’ai le sentiment que l’on est au fond d’accord sur le fait que l’impétrant n’a rien publié d’intéressant depuis 15-20 ans. Pour ce qui est de la ligne éditoriale, dont acte pour deux articles et je m’empêcherai d’en rajouter en chouinant sur l’absence d’article sur le concert de Frank Black au Trianon (lui au moins a sorti, allez, soyons honnêtes, UN bon album- avec les Pixies – ces dernières années). J’aurais peut-être dû en effet vous proposer le CR bénévole, je pense que cela aurait pu intéresser une partie du lectorat.
      Et je peux tout-à-fait en faire autant avec Heartworms samedi mais le dernier article publié me fait penser que vous y serez aussi certainement. Car oui c’est un super album d’une très jeune musicienne (26 ans), et, sur cela aussi, on sera d’accord je pense, c’est le genre de nouvelle réjouissante…

      1. Jérôme, nous n’avions en effet personne de l’équipe à Frank Black, et il est vrai que mes amis m’en ont tous dit beaucoup de bien. Pour Heartworm, nous y serons, et d’ailleurs j’ai publié ma chronique de son excellent album ce matin. Le plus important n’est pas là, c’est que oui, absolument, nous aimerions avoir plus de chroniqueurs musicaux, donc n’hésite pas à m’envoyer tes propositions (eric@benzinemag.net). Et très sincèrement, ce type d’offre nous enchante !

        1. Je me permets de rajouter une chose (à moins qu’Eric me contredise). Il est possible pour la rédac’ d’obtenir des invites pour des « petits » concerts. Pour les concerts dans des grosses salles ou pour des grosses têtes d’affiche (Frank Black, Nick Cave entre autres), c’est paiement de la place et quand c’est complet pour le public c’est complet pour les rédacteurs. Si il y avait eu une possibilité d’invite pour Franck Black au Trianon un/une membre de la rédac’ aurait mordu à l’hameçon.

  4. Merci et bien noté ! Je verrai pour les propositions que je pourrais vous faire (je vois qu’on délaisse les vieux glorieux de The Ex samedi au profit de la sensation du moment… Il faut faire des choix).
    Pour les places, précision intéressante – cela vous honore même si j’aurais pensé que vous bénéficiez d’invitations plus systématiques.
    Cela garantit au moins la liberté éditoriale….
    Et dans certains cas exceptionnels (Nick Cave, au hasard), les concerts n’ont pas vraiment de prix…

    1. Je reviens vers toi après avoir laissé mon camarade Ordell s’exprimer. Il n’a pas tort, nous n’avons pas accès à tous les concerts sur invitations, même si heureusement, avec le succès de Benzine, nous progressons dans ce domaine. Et oui, nous achetons nos places pour les concerts incontournables, comme Nick Cave par exemple, en effet. Dans tous les cas, nous essayons de dire ce que nous pensons sur un concert, même en ayant été invités. Cela me semble être le minimum à faire dans ce genre de « boulot ». De temps en temps, les attachés de presse se vexent un peu, mais normalement ça se passe bien. De toute façon, nous avons pour principe de ne rien démolir bêtement, sans arguments. Mieux vaut, surtout pour des artistes « fragiles » ne pas en parler plutôt que d’être méchants !
      Sinon, oui, on espère recevoir de toi plein de textes !

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