Le talentueux Panda Bear signe un très beau retour avec Sinister Grift, à mi-chemin entre les élucubrations de son groupe Animal Collective et les envolées d’harmonies surf à la Beach Boys. Plus lumineux et accessible qu’à l’accoutumée, il signe l’un des grands disques de ce début d’année 2025.
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De toutes les carrières solo du formidable collectif de bidouilleurs Animal Collective, celle de Panda Bear est incontestablement la plus aboutie. Aussi bien quantitativement avec sept albums à son actif que qualitativement (les unanimement salués Person Pitch et Panda Bear Meets the Grim Reaper), Noah Lennox a indéniablement réussi à exister hors du groupe et à prolonger les expérimentations collégiales sur des terrains arty plus personnels et même collaboratifs. Au fil des années, on a pu le retrouver aussi bien chez Daft Punk qu’aux côtés de Jamie Xx, Sonic Boom ou Solange Knowles. Des artistes de divers univers qui prouvent le talent multi-facettes du sieur.
Six ans après Buoys, dernier essai en date, voici venir le nouveau né de l’esprit hyper-créatif de Lennox: Sinister Grift. Comme d’habitude composé « chez lui » dans son studio de Lisbonne (tombé amoureux du Portugal et d’une autochtone, il y réside depuis vingt ans désormais), cet album a été enregistré en compagnie de son vieil ami Deakin, partenaire au sein du band. Tous les membres sont d’ailleurs conviés à la fête, les autres petits camarades sont venus filer des coups de main dans l’ombre, une première pour l’un de ses travail solo.
Lumineux et chaleureux, Sinister Grift marque une évolution musicale assez nette chez Panda Bear. Si l’on retrouve cette marque de fabrique où harmonies vocales/esprit surf très Beach Boys (peut-être jamais autant assumé que sur la superbe introduction Praise) croisent ses velléités électroniques habituelles, elle est désormais recoupée par un esprit pop certes toujours arty mais plus accessible.
C’est bien simple, les sept premiers morceaux (donc 70% de l’opus) sont des appels au soleil et au prélat apaisé sur un bord de plage désert. Que ce soit par un prisme lancinant sur Anywhere but Here (Brian Wilson es-tu là ?) et 50mg ou sur des tempos plus rythmés avec les excellents Ends Meet et Ferry Lady et même world music chez Just as Well, le spleen raconté par Noah se transmet à travers des ondes positives et une ambiance légère. Drôle mais très beau paradoxe qui tranche avec tout ce que peut renvoyer ce titre d’album ainsi que sa pochette sombre et inquiétante.
Cette direction artistique n’indique en rien un excès de facilité pour autant. La recherche de simplicité dans les structures n’empêchent pas les mélodies et les compositions d’être toujours sophistiquées. Seulement la superposition de couches d’instruments ne prédomine plus et Lennox trouve le chemin de la grâce en épurant son jeu. Beau joueur d’ailleurs, il ne prive pas de leur dose les aficionados d’envolées lyriques plus complexes avec des titres plus alambiqués tels que Venom’s In, le lévitant Left in the Cold ou encore la magnifique fresque Elegy for Noah Lou à l’atmosphère à la fois pesante et envoûtante.
Avant de fermer le rideau avec Defense, petit tube indie-pop imparable où son univers rencontre la guitare rock psyché de Patrick Flegel et son alter-ego Cindy Lee sur un morceau qui aurait eu toute sa place sur l’immense Diamond Jubilee de ce dernier, un des plus grands disques sortis ces dernières années.
De grandes inspirations et de brillantes idées parcourent ce très bel objet d’un artiste des plus talentueux. Le temps n’a pas d’emprise sur les convictions de Panda Bear et sur ses capacités à trouver encore de l’originalité dans son processus créatif. Une longévité qui force le respect et Sinister Grift de rejoindre le très haut du panier dans les projets sortis par son bâtisseur. Ce qui en dit long sur sa qualité.
Alexandre De Freitas