Véritable star de la bande dessinée sud-coréenne traduite en 30 langues, Keum Suk Gendry-Kim nous propose une biographie, toute en nuances, du maître incontesté de la Corée du Nord.

Keum Suk Gendry-Kim vit sur l’île de Ganghwa à la frontière entre les deux Corées, côté « Sud ». Pétrifiée, elle y assiste aux exercices militaires et frémit aux tirs de canon. La paix n’a jamais été signée entre les deux anciens belligérants. Élevée depuis sans enfance dans la haine de ses voisins, elle a peur de la guerre et n’aspire qu’à la paix et la réunification.
L’autrice nous propose un surprenant ouvrage, où elle se met en scène, avec son mari français et ses deux chiens, avant de nous inviter à la suivre dans son enquête sur Kim Jong-un. Elle se garde de nous proposer la biographie classique et chronologique d’un homme mystérieux, mais nous propose un portrait par touches impressionnistes.
Ainsi, après nous avoir présenté la famille du despote — la Corée du Nord est l’unique république communiste à avoir accouché d’une forme inédite de monarchie héréditaire — elle interviewe les rares personnes à l’avoir approché et à oser témoigner : un journaliste, un cuisinier japonais, son ami occidental, une transfuge nord-coréenne ou Moon Jae-in, l’ancien président de Corée du Sud. On y apprend, pêle-mêle, que Kim Jong-un aime le basket et a vécu en Suisse, que son accession au pouvoir a très bien été accueillie par la population, car, contrairement à son père, ses purges épargnent le petit peuple qui ne pleure guère l’exécution d’un cousin de Kim ou d’un ministre, qu’il a tenté un rapprochement avec l’Occident et que les Nord-Coréens ne sont pas, au final, si différents de nous. Plus étonnant encore, l’autrice semble craindre presque autant l’extrême droite nationaliste et autoritaire de son pays qui instrumentalise le conflit depuis des lustres.
Keum Suk Gendry-Kim a développé un style léger, précis et très personnel. Son dessin semi-réaliste à la plume est accompagné d’aplats de couleur émeraude et parme. Elle varie ses effets, alternant de légères vignettes simplement esquissées à des pages plus travaillées et plus sombres. Sous sa plume, Kim, aussi bien l’enfant potelé qu’il a probablement été que l’adulte plus massif qui nous connaissons par les photographies, se fait roublard et presque attachant. Et, avouons que nous refermons le lourd album ébranlé dans nos certitudes.
Stéphane de Boysson