« Coeur noir », de Silvia Avallone : vivre sans se cacher

En 2011, son premier roman D’acier propulse l’autrice au premier plan de la scène littéraire italienne et internationale. En France, le livre connaît un succès immédiat. Après Marina Bellezza (2014), La Vie parfaite (2018), Une amitié (2022) Silvia Avallone confirme à nouveau son talent avec ce roman à la fois âpre et poignant, creusant avec beaucoup d’émotions les notions de culpabilité et de rédemption.

Silvia Avallone
crédit Giovanni Previdi

Lorsqu’elle débarque à Sassaia pour s’installer dans la maison de sa feue tante, Emilia, 31 ans, ne passe pas inaperçue avec son jean déchirée, ses Dr Martens violets et sa doudoune vert fluo. De quoi troubler la quiétude de ce tranquille hameau des Alpes italiennes, et de ses deux uniques habitants, Basilio, un vieux peintre restaurateur d’églises, et Bruno, instituteur.

coeur noir Silvia Avallone n’a pas peur de jouer à fond la carte du mélo mâtiné de romance. Très vite dans le récit, Bruno et Emilia tombent amoureux. Aucun n’était préparé au déclic de bonheur qu’est leur rencontre, improbable entre deux solitaires qui vivent sur des planètes totalement différentes.Leur histoire sera forcément semée d’embûches sans qu’on ne devine de quel côté la pièce va tomber pour déterminer de sa survie ou pas.

Car les deux solitaires ont chacun un secret qu’ils voudraient continuer à taire. Chacun a vécu un terrible drame durant l’enfance ou l’adolescence, une de ces tragédies qui vous marquent au fer rouge, qui peuvent vous détruire irrémédiablement, quelle que soit la responsabilité à laquelle vous avez pris part, soit en tant qu’acteur agissant ou simple victime collatérale. Tous deux ont connu le Mal, tous deux ont sombré dans l’abîme et ont fait le choix de la solitude pour se punir d’être encore en vie.

Le rôle de narrateur est confié à Bruno, en alternance avec une narration classique à la troisième personne. Et c’est une excellente idée car c’est le personnage le plus touchant. Emilia reste un bloc peu aimable mais dont le lecteur apprécie de découvrir le parcours, l’opacité mystérieuse qui nimbe ses actions et réactions permettant au récit de gagner en ambiguïté.

« Le paradoxe était celui-ci : l’événement principal de sa vie, elle ne pouvait pas le penser. Ni se rappeler, ni le raconter, ni rien. Elle devait faire comme s’il n’avait pas eu lieu. Mais elle le sentait : inamovible, compact à la hauteur de son coeur. Comme un caillot d’obscurité, un bout de graphite aiguisé. Et dangereux aussi. Mortel comme une tumeur quiescente, un projectile qui n’a pas explosé. Elle devait le garder en elle, en faisant attention à ne pas trop le remuer, le titiller. Parce que s’il s’ouvrait, s’il explosait, le noir l’envahirait entièrement, jusqu’à la paralysie. »

Toute l’habilité de l’autrice est de maintenir le suspense à la fois sur l’avenir de cette histoire d’amour que sur le dévoilement de ce qu’ils ont fait ou vécu de terrible dans le passé (surtout Emilia). Silvia Avallone parvient à rendre intense ce mélo-romance qui aurait pu se couvrir à certains moments d’un sucre feel good quelque peu indigeste pour les non amateurs du genre, ou dans d’autres, se goberger dans le tire-larmes putassier. Parfois, elle en fait trop, parfois on voit quelques coutures apparentes, la fin est un peu expédiée. Mais tout passe car la part d’ombre est bien présente, ce qui permet de faire ressortir toute la complexité de l’âme humaine jusqu’à ses tréfonds les plus violents, jusqu’à ses fissures les plus inavouables.

Coeur noir raconte une histoire puissante qui enchasse des thèmes forts : l’adolescence et la viscéralité extrême des émotions durant cette période (déjà abordée avec beaucoup de talent dans D’Acier) ; le microcosme d’un territoire reculé où tout le monde connaît tout le monde, juge et suspecte ceux qui s’écartent de la norme. Et celui de la difficulté à atteindre la résilience et la rédemption.

Combien de temps devons nous payer nos erreurs ? Peut-on aimer quelqu’un en connaissant son versant noir ? Tout le récit interroge de façon brûlante la question du pardon, aux autres comme à soi-même. Le lecteur est ainsi incité à se confronter à ses propres réactions et à réfléchir au-delà de ses plus immédiatement épidermiques, à tête reposée, à ce qu’il aurait fait à la place d’Emilia et de Bruno.

Portée par une écriture vivante et imagée, le récit finit par toucher en plein cœur.Vivre et avancer. Vivre sans se cacher pour affronter un avenir qui pourrait, peut-être, être heureux.

Marie-Laure Kirzy

Coeur noir
Roman de Silvia Avallone
Traduit de l’italien par Lise Chapuis
Editeur : Liane Levi
448 pages – 23€
Parution le 6 février 2025

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