« Ces femmes-là » de Ivy Pochoda : aux côtés des femmes de L.A.

Ivy Pochoda nous propose de partager pendant quelques pages, la vie de femmes d’un mauvais quartier sud de Los Angeles : quelques noires, métisses ou latinas, des danseuses de striptease, des prostituées, des laissées pour compte, en marge de la société. Des femmes victimes de la violence et que personne n’entend. Une lecture forte mais éprouvante.

© Darran Tiernan

Ivy Claire Pochoda est une romancière étasunienne, née en 1977 et qui vit à Los Angeles.
Son roman « Ces femmes-là » est paru en 2023 et vient d’être réédité en poche chez Christian Bourgois.

Nous voici dans un mauvais quartier de South Los Angeles où les femmes seules se retrouvent souvent danseuses, strip-teaseuses, toxicos ou prostituées : « chacun ses choix, et certaines personnes n’en ont pas tellement ».
Ce sont souvent des latinas, des blacks, des métisses, des laissées pour compte en marge de la bonne société.
Il y a là Dorian, celle qui tient la friterie à poisson au coin de Western Avenue et de la 31° rue où elle nourrit les mauvaises filles du quartier, comme Kathy.
Dorian récupère les oiseaux morts.
Selon Coco, danseuse exotique (!), « aux dernières nouvelles, Kathy était vraie pute de caniveau ».
Coco est la coloc de Julianna, une latina, danseuse de striptease au Fast Rabbit.
Julianna se verrait bien photographe.
Et puis Marella, une artiste qui met en scène des films et des images de cadavres pour sa prochaine exposition.
Et enfin voilà une fliquette, la lieutenant Perry, qui va enquêter sur la mort de Kathy. Une latina pas très grande, moquée par ses collègues. Va-t-elle se montrer meilleure qu’eux, va-t-elle écouter ces femmes que l’on n’entend même pas ?

En 1999 un serial-killer sévissait dans le quartier : on avait retrouvé une douzaine de femmes égorgées, la tête étouffée dans un sac plastique. Dorian y avait perdu sa fille adolescente dont Julianna était la baby-sitter.
L’enquête n’avait alors rien donné, après tout il ne s’agissait que de quelques prostituées.
« […] Quinze ans plus tôt, treize jeunes femmes ont été retrouvées mortes dans des impasses du quartier, la gorge tranchée, un sac sur la tête. Des prostituées, a dit la police. Des prostituées, ont répété les journaux.
[…] La victime était une prostituée. Comme si ça justifiait tout.
[…] Peut-être que le profil des victimes rend leur mort insignifiante. »

Nous sommes maintenant en 2014, alors que les incendies menacent la ville, et l’on vient de découvrir le cadavre de Kathy, une prostituée notoire, retrouvée égorgée, un sac en plastique sur la tête : « la nouvelle est tombée dans le quartier : Kathy a été retrouvée morte dans un terrain vague ».
Quinze ans plus tard, le serial-killer est-il de retour en ville ?
Il va nous falloir suivre, sans le casser, le fil ténu qui relie ces femmes les unes aux autres.

Le style de Ivy Pochoda va prendre le lecteur à revers : une succession de coups droits, secs et directs (sachez que l’auteure fut championne de squash !). Ça secoue un peu, c’est pas ordinaire.
Elle brise les codes et fera peu de concessions aux habitués des standards du genre.
Ivy Pochoda ne s’embarrasse guère des conventions du polar classique, elle plonge son lecteur au plus près du bitume, juste derrière les talons de ces femmes qui arpentent le trottoir. Le récit est vif, dur, brutal, vulgaire, tout comme la vie de ces femmes.

Et c’est aussi parce que l’histoire adopte le point de vue de ces femmes, des victimes. Ce n’est pas un thriller classique où le flic enquête sur un meurtre et cherche à débusquer le tueur. Bien sûr, il y aura fliquette, enquête et même serial-killer, mais seulement à la marge du récit principal, un peu en-dehors du cadre de la caméra.

C’est une lecture éprouvante, étouffante, parce que Ivy Pochoda ne cache rien. Ni la misère des femmes, ni les corps des victimes, ni la douleur des proches ou des parents, ni l’indifférence du monde et des flics.
« […] — Il y a des mauvaises filles. On en voit partout. Des filles mauvaises, mauvaises, mauvaises. Et tu penses à leurs mères. Tu te demandes ce qu’elles ont fait de mal. Ce qu’elles ont raté. Peut-être qu’elles n’ont pas assez prié. »

Le lecteur hésite quelque part entre répulsion et fascination pour les violences infligées à ces femmes et quand l’artiste performer Marella entrera en scène, il pourra même songer au roman culte de J.G. Ballard : Crash qui s’intéressait, lui, aux corps suppliciés dans les accidents de voiture.
Je laisse le mot de la fin à Dorian parce qu’il me semble parfaitement résumer le propos de l’auteure :
« […] — Il ne s’agit pas de résoudre des meurtres commis il y a plus de dix ans. Il s’agit de réparer une injustice.
Il s’agit de comprendre pourquoi l’assassin de nos filles a été en liberté pendant toutes ces années, pourquoi la police n’a rien fait à propos de la mort de nos filles. Pourquoi ils s’en fichaient. Pourquoi ils ont regardé ailleurs. Il s’agit de comprendre pourquoi la police pense que nos filles n’en valent pas la peine. »

Bruno Ménétrier

Ces femmes-là
Roman de Ivy Pochoda
Traduction de l’anglais (US) de Adélaïde Pralon
Editeur (poche) : Christian Bourgois
446 pages – 12,50 €
Date de parution (poche) : 6 février 2025

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