Bong Joon Ho est l’un des grands réalisateurs contemporains, il l’a prouvé à plusieurs reprises. Mais son Mickey 17 n’est pas un grand film pour autant. Ce qui ne veut pas dire qu’on n’y prenne pas du plaisir, et que la critique – lourde – de l’univers Trump-Musk qu’il porte ne soit pas pertinente.

Il ne fait nul doute qu’avec, à son actif, des films comme Memories of Murder, The Host, Mother ou Parasite, bien entendu, Bong Joon-Ho est non seulement l’un des plus grand réalisateurs coréens, mais l’un des cinéastes les plus importants aujourd’hui sur la planète. Cela ne doit pas nous faire oublier que, et c’est bien normal, tous les films signés Bong Joon-Ho ne sont pas des chefs d’œuvre : Snowpiercer et surtout Okja en sont la preuve, tous deux des films de Science-fiction conceptuels et politiques pas vraiment réussis. Et c’est malheureusement dans cette ligne que s’inscrit Mickey 17 : de la SF conceptuelle et politique, pas vraiment réussie. Ce qui ne veut pas dire que, comme dans Snowpiercer et Okja, il n’y ait pas beaucoup de choses intéressantes à y trouver, justifiant qu’on investisse deux heures et quart de son temps…
L’histoire de Mickey 17 évoquera évidemment beaucoup de choses de notre actualité – ou en tous cas, de choses pertinentes jusqu’à la prise de pouvoir de Trump et Musk aux USA en janvier : alors que la terre du futur n’est plus très habitable, une expédition de colonisation d’une autre planète est lancée, sous la direction d’un homme politique incapable de se faire élire, féru d’émissions TV racoleuses, bête comme ses pieds et aux penchants extrémistes avoués, entouré qu’il est par une cour d’admirateurs décérébrés. A l’arrivée à destination, l’un des instruments les plus pratiques permettant d’apprendre comment s’adapter à un nouvel environnement est Mickey, un « sous homme » qui a signé pour être « expendable » (remplaçable), c’est à dire pour mourir autant de fois que nécessaire pour le bien commun, avant de renaître par « réimpression ». La confrontation des humains avec la faune de la planète où ils ont atterri va néanmoins rebattre complètement les cartes au sein de la communauté des colonisateurs.
Le nombre de thèmes de science-fiction que Mickey 17 déballe est impressionnant, et forcément excitant pour un fan du genre… Mais il est important que ce fan soit prévenu avant de rentrer dans la salle : Bong Joon-Ho se moque totalement de la science-fiction, et ne fera quasiment rien de ces sujets « de réflexion ». Son propos est de livrer avant tout une satire appuyée de la société humaine actuelle, américaine en particulier, et pas grand chose d’autre. Ruffalo et Collette sont chargés d’y aller avec leurs gros sabots quant il ‘agit de bien souligner combien l’idéologie trumpienne, avec des relents de Musk pour faire bonne mesure, est toxique, et combien le comportement qui va avec est stupide, ridicule, et haïssable. Le résultat est que, si l’on rit souvent et franchement, on n’apprend rien que l’on ne sache déjà (et finalement, la réalité d’aujourd’hui est bien pire, non ?).
Ce qui est dommage, c’est que, tout entier consacré à son portrait à charge de la bêtise US, Bong Joon-Ho passe à côté de ce qui aurait pu constituer le cœur d’un bon film : l’humanité de son beau personnage de Mickey (17 ou 18, chacun dans son genre étant convaincant) : « chair à canon », pitoyable souvent mais tellement humain toujours, en fait un merveilleux sujet de film, porté par une interprétation splendide de Robert Pattinson, qui s’améliore clairement avec l’âge. Durant les quelques scènes où Bong Joon-Ho ralentit la course effrénée de sa narration, résiste au plaisir d’accumuler les effets spéciaux – plutôt réussis, là n’est pas la question -, et permet à Mickey d’exister à l’écran, Mickey 17 devient enfin le film qu’on aurait rêvé qu’il soit.
Et puis, là où le film perd beaucoup de points, c’est dans son insistance illogique à trouver un happy end… qui contredit et son sujet et sa trajectoire : entre l’apparition de nulle part d’un mouvement pro-démocratie renversant le tyran (qu’on est loin de voir se dessiner aux USA en ce moment) et le choix de faire des grosses bébêtes de la planète des créatures bienveillantes et sympathiques, on frôle la niaiserie dans la dernière partie du film. Nous vient alors, inévitablement, le souvenir et le regret de la violence nihiliste du portrait du fascisme fait par Verhoeven dans son génial Starship Troopers, qui ridiculise totalement ce Mickey 17, ou tout du moins son volet politique.
Mais tout cela n’est pas bien grave : on passe un bon moment devant Mickey 17, on y trouve de nombreuses raisons de se réjouir, et même quelques beaux instants de cinéma, par ci, par là, car Bong Joon-Ho est un réalisateur accompli qui sait filmer. Et on attend avec sérénité son retour à un cinéma purement coréen, loin des arcanes du blockbuster US / International : il a toujours notre confiance.
Eric Debarnot